• « Un Bouon fada »

    « Je n’ai pas tout compris, mais j’ai senti au dedans de moi que leurs rires me rejetaient. La colère est montée et je me suis précipité sur la grande qui, d’une poussée m’a refait rouler dans le torrent. Alors tout dégoulinant d’eau froide, j’ai couru vers le soleil couchant, poursuivi par le ricanement des gamins qui résonnaient dans ma tête : «  FADA… FADA ». J’ai couru si loin, que je suis tombé de fatigue. Julien n’était pas là, j’étais seul, j’avais envie de me jeter dans l’auge du cochon pour qu’il me mange, mais j’avais peur que ça fasse mal ! Alors je me suis couché dans le champ, et j’ai pleuré, pleuré de grand chagrin et de désespérance, des larmes du fond du ventre qui faisaient mal à sortir. Je ne savais pas pourquoi mais je sentais que rien, rien ne serait plus jamais pareil.

     A force de pleurer, je me suis endormi et c’est au crépuscule que mon père m’a trouvé. Il m’a pris dans ses bras. Écroulé de fatigue j’ai juste pu lui demander avant de me rendormir :

     - C’est vrai que je suis un fada ?

     (…)

     - Qu’est-ce que c’est un Fada, maman ? C’est vrai que je suis un Fada ?

     Délaissant les pis de la chèvre, elle m’a pris sur ses genoux et m’a dit :

     - Les gens ne sont pas tous gentils, ils n’aiment pas que l’on soit différent ni que l’on ne pense pas comme eux. Toi, tu es différent, plus doux et tes idées dans ta tête ne suivent pas le même chemin, alors ils ne peuvent pas comprendre. Aussi quand quelqu’un te traite de Fada, de simple d’esprit, t’insulte ou te dit quelque chose que tu ne comprends pas, souris, es ben mieil [c’est bien mieux].

     - Mais je n’ai pas envie de sourire quand ils sont méchants !

     - C’est pour cela qu’il faut sourire » m’a-t-elle répondu, s’ils voient qu’ils te mettent en colère, que leurs paroles te blessent, ils continueront et ce sera pire. Alors que, si tu leurs souris, s’ils te croient toujours content, ils se lasseront rapidement et te laisseront tranquille. Souvient-toi de cela et souris.

     Ce fut quelquefois difficile, mais j’ai bien suivi son conseil, et comme il s’est révélé qu’elle avait raison, je suis devenu aux yeux des autres « Un Buon fada, tours counten », «le simple d’esprit au sourire » pour qu’ils me laissent en paix. » (p.28-29)

     

    « Un Bouon fada »

     

    « Les animaux de travail une fois déchargés et les moutons parqués, intrigué par cet animal étrange je suis allée au parc des ânes. Ils étaient tous rassemblés dans le même angle du pré et Néan était seul de l’autre côté. Il semblait rejeté par les autres. Je me suis approché, il a tourné la tête vers moi, je lui ai tendu la main à plat comme mon père le fait avec les mules et il est venu la lécher . Sa langue était légèrement rappeuse. En écartant les poils qui me cachaient ses yeux j’ai découvert un regard si doux, si triste, que j’ai voulu le consoler. Je me suis approché tout près de lui et je lui ai parlé : « pourquoi es-tu si triste Monsieur l’âne ? Tu n’as pas de copains ? Les autres ne veulent pas de toi… ? C’est parce que tu n’es pas comme eux, même si tu es plus grand et plus fort. Tu veux être mon ami, dis ? »

     Il m’a répondu d’un hochement de tête, je l’ai pris par le cou et il a posé sa tête sur mon épaule « on sera les deux Fadas, moi des hommes et toi des ânes mais personne ne doit le savoir, c’est notre secret ». (p.40-41)

     

    « Et puis il y avait les regards. Tous ces regards des gens quand ils me voyaient : ceux qui surpris élargissaient leurs yeux en ouvrant la bouche comme des poissons morts, ceux qui me balayaient de la tête aux pieds avant de revenir sur mon visage, ceux qui se détournaient en une grimace ou dans un rire et ceux qui me transperçaient, comme si je n’existais pas. » (p.50)

      « Elle a pris mon visage entre ses mains, appuyant son front sur le mien elle m’a dit :  « il n’y a pas de mais… Jean-Noël, moi aussi les autres me disent différente. Ils m’appellent la Muette, parce que j’ai toujours été isolée, parce que je viens d’ailleurs, parce que Germaine n’a jamais voulu que je rencontre les enfants du village, que j’étais sale, mal vêtue, que je parle aux chiens, aux chèvres et aux fleurs et pas aux gens que je n’aime pas, qu’après la mort de Gabriel je n’avais plus envie de voir personne, je voulais juste être seule avec mes bêtes dans la montagne. Tu n’arrives pas à dire tout ce que tu ressens, mais moi je n’ai pas besoin que tu parles pour savoir, pour sentir comme toi la joie du lever de soleil qui réveille la peau, la sagesse d’un vieux mélèze, la peur des nuages d’orage qui t’arrivent dessus au galop tout chargés de foudre dans l’hostilité des rochers, le langage des animaux qui t’aiment, la colère devant l’injustice et la douleur causée par le mépris des autres. Tu comprends il n’y a pas de mais, car moi aussi je t’aime… je veux bien t’épouser, même si on n’a pas besoin d’être mariés pour s’aimer... ». (p.106)

     

    « Nous avions peu parlé ensemble parce qu’il était comme ceux de la montagne, économe de paroles et de sentiments et que moi je parle beaucoup dans ma tête où les mots se mettent bien en place, chantent, dansent ou pleurent mais ils restent là. Je n’arrive pas à les dire, à les faire sortir, alors ils se bousculent comme un troupeau de moutons apeurés, ils se montent dessus, restent coincés dans ma gorge, ça me fait mal, ça m’énerve, aussi, le plus souvent je me tais. Maintenant avec mon père en moi, plus besoin de prononcer les mots et j’ai commencé à lui parler de tout. C’est venu petit à petit comme s’il était à mes côtés... » (p.121)

      (Simple d’esprit. Le Fada de Bousieyas de Jean-Claude LEFEBVRE)

     

     

    « Une image typique L’origine de l’excision »
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