• L’origine de l’excision

    « - Vous savez, chez nous, une femme qui n’est pas excisée n’a aucune chance de faire un bon mariage. Elle va se faire moquer, traiter de n’importe quoi, elle ne pourra pas prier à la mosquée avec les autres femmes de son groupe d’âge, ni manger dans le même bol qu’elles. J’avais une cousine de Dakar qui n’était pas excisée : c’est elle-même, à vingt ans passés, qui est allée voir la forgeronne du village pour lui demander de le faire, parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre comme une demi-personne. Tout ça pour vous donner une idée du poids des traditions.

     (…)

     Tout à l’heure, devant les grilles du collège où j’allais chercher ma petite fille, j’ai parlé avec la mère d’une gamine qui portait un appareil sur les dents, une machine très vilaine et qui avait l’air de lui faire mal. J’ai demandé à la dame pourquoi elle avait collé ça sur les dents de sa fille. Nous, jamais on ne forcerait nos enfants à porter des dentiers en métal tous les jours pendant des années, avec toutes les complications qui s’ensuivent. Mais cette mère-là m’a dit que dans votre société c’était très important d’avoir des bonnes dents bien droites, et que même sa propre fille lui serait reconnaissante un jour.

     - Excusez-moi, mais on ne peut tout de même pas comparer les conséquences néfastes de l’excision avec les désagréments des appareils dentaires, intervint François Cabanon.

     - Je crois au contraire que la comparaison de madame Bocoum est très juste, s’interposa Rose-Assata. Elle illustre les pressions sociales. Ici, une mère qui aime sa fille va vouloir lui offrir des dents correctement alignées, ou des oreilles bien collées. C’est cher et pénible, mais ça vaut le coup. Au Fouta, une mère qui veut un bon avenir pour son enfant, dans la société dans laquelle elle vit et où ses choix sont limités, va la faire exciser. Bien sûr, l’excision a des conséquences ravageuses, bien plus que l’orthodontie ou la chirurgie plastique, mais je crois que le message est clair : parlons de l’excision, oui ; dénonçons cette pratique, oui ; mais évitons les clichés. Les violences envers les femmes ne sont pas une spécialité africaine.

     - Mais pourquoi faire ça ? demanda une professeure d’allemand au deuxième rang. Je ne comprends pas à quoi ça sert.

     Rose-Assata s’approcha du micro :

     

     L’origine de l’excision

    - On entend beaucoup d’histoires sur les origines de l’excision. Certains disent qu’elle remonte à Sarah, la femme d’Abraham. D’autres parlent des pharaons : quand les momies ont été examinées, on a découvert des femmes complètement fermées, coupées et puis recousues ensuite, comme le sont les Somaliennes aujourd’hui. Il me paraît clair, pour répondre à votre question, que l’excision procède, historiquement, d’une volonté de contrôle sur les femmes.

     - ça n’explique pas pourquoi ça continue, insista la professeure, butée.

     - Des marchands des empires pharaoniques ont fait fortune en commerçant le long du Nil jusqu’au Kenya actuel et à travers le Sahara, qui n’est pas seulement un désert, mais aussi un lieu de trafic très dense. Dans les villes que les caravanes traversaient, on regardait avec envie ces hommes riches, qui n’épousaient que des femmes belles et excisées. Les populations locales se sont mises à exciser leurs filles pour accéder à des mariages avantageux : c’est l’une des façons dont la pratique s’est diffusée, couche après couche, depuis le haut d’une pyramide sociale très hiérarchisée. D’autant plus facilement que les sociétés exigeaient déjà chasteté, pureté et modestie de la part des femmes. Une fois propagée, l’excision n’est plus une option : tout le monde le fait, parce que tout le monde le fait. C’est ce qu’on appelle une norme.

     - Vous parlez des pharaons alors que je pensais que c’étaient les musulmans qui avaient inventé l’excision, réagit quelqu’un dans la salle.

     Nawdé fit claquer sa langue dans le micro :

     - Je le croyais, moi aussi. J’ai appelé l’imam de mon village quand j’étais à l’hôpital, car il est très savant et c’est lui qui a instruit mes trois enfants en religion. J’ai été étonnée quand il m’a dit que l’excision n’est pas une pratique religieuse. Les Saoudiens de La Mecque ne le font pas, et le grand mufti du Caire a même interdit de haddinde les petites filles. J’étais choquée, je lui ai demandé pourquoi il ne nous avait jamais dit ça. Il m’a répondu que c’était une affaire qui ne concernait pas le Saint Coran mais qu’il voulait bien aider à y mettre fin, puisque le chirurgien m’avait expliqué combien c’était mauvais pour la santé.

     La voix de Nawdé faiblissait et Rose-Assata enchaîna :

     - ça a concerné des chrétiens, des animistes, et même des juifs éthiopiens. Chez moi, en Guinée, certains marabouts disent qu’il faut le faire, même si c’est puni par la loi, pour que les filles ne fassent pas de bêtises. Quand vous habitez quelque part où tout le monde veut continuer, c’est très difficile d’être la seule à dire non. » (p.214-217)

      

    (La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux de Pauline PENOT et Sabine PANET)

     

     

     

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