• Persecutor en personne

     

    « Et puis, très vite, de nouveaux ennuis sont arrivés. Non plus ceux d'avant les vacances (encre projetée sur les vêtements, croche-pieds dans le couloir, pincements, moqueries, insultes) mais crachats et vélo crevé. » (p.84)

     

     

     

    « Le matin, aux abords du collège, Valentin doit passer sous une passerelles métallique. C'est de là-haut qu'on lui a craché dessus presque tous les jours du mois de janvier. Ceux qui l'ont pris pour cible ne se sont jamais montrés, ils n'avaient pas besoin de se pencher par-dessus le parapet, il leur suffisait de cracher dans l'espace entre les lattes de bois qui composent le plancher de la passerelle. Quand les crachats se sont calmés, c'est à son vélo qu'ils ont décidé de s'en prendre.

     

    Valentin n'oublie pas ce que lui a recommandé Alice, un jour : « Plus tu réagis et plus ça les excite ! Ça leur passera. » (p.89)

     

     

     

    « - Rien ne cloche, affirme-t-il. Le souci, c'est lui. C'est Bastien Lange.

     

    Un sourire incrédule s'épanouit sur le visage d'Yves Letalandier.

     

    - Tiens donc !

     

    - C'est Bastien qui crève mes pneus, qui me bouscule...

     

    -... Qui oublie de mettre l'alarme à mon réveil, poursuit le principal sur le même ton.

     

    Indifférent à l'ironie du chef d'établissement, Valentin reprend :

     

    - Il m'a frappé au ventre, mardi au gymnase.

     

    Yves Letalandier prend quelques secondes de réflexion avant de trancher :

     

    - Quoi qu'il en soit, Bastien Lange me semble plus « fair play » que toi. Lui au moins ne se permet pas de dire du mal de Valentin Boubard... Vous vous entendiez si bien... Que s'est-il passé ? Une histoire de fille ? La belle Alice Pregoszian ?

     

    Valentin rougit violemment.

     

    - Vous ne me croyez pas, lance-t-il buté pour cacher sa gêne. » (p.106)

     

     

     

    « Valentin se passe la main dans les cheveux. Du sang poisse sous ses doigts. Bastien sort un mouchoir en papier de sa poche.

     

    (…)

     

    Valentin n'a pas besoin de s'interroger longtemps sur la soudaine sollicitude de Bastien pour comprendre que son persécuteur craint d'être allé trop loin.

     

    - Je vais le dire, assure Valentin aussi calmement que possible et refusant le mouchoir de Bastien pour prendre un des siens. Je vais le dire que c'est toi qui m'a lancé un caillou du haut de la passerelle.

     

    - Je vais le dire, je vais le dire ! singe Bastien.

     

    - Ils seront obligés de me croire.

     

    - C'est ça, dit Bastien, et moi je leur parlerai de ta petite coquillette à la sauce blanche.

     

    Valentin sent son ventre se nouer. Inconsciemment, il ralentit le pas.

     

    - Ben oui, continue tranquillement Bastien. Je leur dirai que tu te tripotes la nouille au fond de la classe pendant les cours.

     

    - C'est même pas vrai ! se défend Valentin.

     

    - Oh, moi, tu sais, je ne fais que répéter ce qui se raconte dans la classe... Alors, ça te fait quoi, quand tu jutes ? Tu te sens décoller ?

     

    Le verbe « juter » n'est pas dans le vocabulaire de Valentin et il ne comprend pas précisément ce que lui reproche Bastien. » (p.169-170)

     

     

     

    «  Bastien ne se sépare pas de son morceau de silex. De temps à autre, il le sort de sa poche et le tient dans son poing serré, ne laissant dépasser qu'une extrémité avec laquelle il s'amuse à « rayer du Valentin » : ses classeurs, ses livres, ses vêtements. D'autres fois, il frappe au niveau du bras ou des omoplates, déclenchant une douleur aiguë.

     

    Valentin encaisse. Quand la révolte gronde en lui et qu'il est au bord de craquer, Bastien le perçoit instantanément et s'arrête toujours à temps. » (p.181)

     

    Persecutor en personne

     

    « Et pour être stimulé, Valentin l'a été. Par Stimulator en personne. Persecutor. Et il m'arrivait d'être fascinée par le talent de dissimulateur (Dissimulator !) de Bastien. Il y aurait de quoi chauffer la ville pendant dix ans avec les crayons à papier qu'il sortait négligemment de la trousse de Valentin et qu'il ne lui rendait qu'après les avoir brisés en deux. On pourrait caler toutes les vieilles armoires bancales de la région avec les gommes "empruntées" à Valentin et restituées à leur propriétaire débitées à coups de ciseaux, en deux ou quatre morceaux.

     

    Si l'encre pouvait faire avancer les voitures, on roulerait jusqu'à la fin des jours avec le contenu des cartouches que Bastien vidait dans les affaires de Valentin, dans sa trousse, dans son cartable, dans ses poches, dans son cou...

     

    Il avait l'art de s'arrêter au bon moment pour n'être pas pris en faute. Jamais rien de trop. Et surtout, sa victime ne protestait pas, ne protestait plus. 

     

    (…)

     

    Bastien avait réussi à le soumettre, et à soumettre les autres aussi dans le silence, la complicité plus ou moins active. Il tenait Valentin à sa merci. Il n'avait qu'à prononcer le mot « nouille » ou « coquillette » et Valentin rougissait et bafouillait un « arrête » suppliant. Quand Bastien, grand prince, consentait à l'épargner, Valentin lui lançait un regard servile, mouillé de reconnaissance.

     

    Je caricature à peine. J'en ai voulu à Valentin de se comporter ainsi. Aujourd'hui, avec le recul, je ne le juge plus. Je sais qu'il n'avait pas le choix. Bastien avait pris un ascendant terrifiant sur lui.

     

    (…)

     

    Tout ne se passait pas au vu et au su de la classe. En artiste de la dissimulation, Bastien savait ce qu'il pouvait se permettre devant les uns ou les autres. J'ai surpris par hasard une conversation entre lui et sa victime. En fait de conversation, Bastien était seul à parler. Il demandait à Valentin s'il avait « le fric ». Et un billet a circulé de la main de l'un dans celle de l'autre. Un assez gros billet, le bleu, celui de vingt euros.

     

    J'ignorais par quel chantage Bastien obtenait cet argent et peut-être cela ne s'était-il produit qu'une fois, mais quoi qu'il en soit, ce jour-là, il rackettait bel et bien sa victime.» (p.185-187)

     

     

     

    «  Ce que je découvris alors en regardant machinalement dans la cour, un étage plus bas, aurait pu sembler anodin : Valentin et Bastien étaient assis l'un à côté de l'autre, face à deux de leurs camarades. Ils avaient rapproché des bancs. Valentin se mit à sortir de ses poches une assez grosse quantité de goûters, j'entends par là des barres chocolatées, des paquets de petits gâteaux, qu'il distribua aux autres.

     

    Cela m'intrigua et quand j'en eus fini avec la documentaliste, je regardai de nouveau par la fenêtre. Je surpris alors un geste de Bastien, d'une brièveté et d'une violence inouïes, pour frapper le genou de Valentin avec un objet qu'il serrait dans sa main. Valentin se tordit de douleur et je le vis articuler une protestation que je ne pus entendre, bien sûr. Mais il est resté en compagnie des trois autres, comprenez-vous, il ne s'est pas séparé d'eux et ils ont continué comme si rien ne s'était passé ! Le décalage entre la violence du coup et la soumission de Valentin m'a mis extrêmement mal à l'aise.

     

    Voilà ce qui m'a convaincu d'explorer l'hypothèse du harcèlement. Mais vous êtes bien placée pour le savoir, dans ce domaine nous manquions de protocoles, il ne s'agissait pas encore d'un sujet sur lequel nous nous penchions facilement. Il fallait, et il faut encore, vaincre des résistances. » (p.200-201)

     

     

     

    (Harcèlement de Guy JIMENES)

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