• Les rebeus

     « Vous le savez, reprit Chloé, c’est une rebeu. J’ai rien contre, seulement elle n’est pas comme nous.

     - Pourquoi ? Releva Sylvie avec vivacité. Qu’est-ce que tu vois de différent, toi ?

     - D’accord. Mais t’as pas entendu à la télé ce qui se passe en Algérie ? Ça craint. Et puis l’an passé, il y avait une fille en troisième D ; elle est partie pendant les vacances de Pâques et n’est jamais revenue, on l’a mariée de force chez elle.

     (…)

     - ça veut rien dire ! Tu crois que chez nous les filles font ce qu’elles veulent ,

     - On ne nous marie pas de force quand même !

     - Non, c’est devenu rare. Mais on nous oblige à d’autres choses dont on n’a pas envie.

     (…) Quand tu vis dans la rue ou que tu fais toute ta vie un métier pourri, c’est pareil que d’être mariée de force. » (p.9-10)

      

    « Ils sortaient du hall ; dans la rue se tenaient trois des rares Maghrébins du collège, des garçons qui étaient toujours ensemble. C’est alors que Rachid, élève de la classe de Manon, se tourna pour lui faire un sourire que Manon lui rendit.

     Thibaut empoigna soudain Manon par le bras :

     - Me refais plus jamais ça ! Gronda-t-il d’une voix dure.

     Elle se dégagea, étonnée et choquée.

     - Te faire quoi ? Demanda-t-elle.

     - Joue pas l’innocente. Ces gars-là, tu les ignores, ni bonjour, ni bonsoir, compris ?

     - T’es ouf ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

     - Il ne m’arrive rien. Seulement, les Arabes, je ne peux pas les sentir. Ils n’ont rien à faire chez nous, et je ne veux surtout pas qu’ils s’approchent de toi.

     - De quoi tu te mêles ! J’ai juste dit bonjour.

     - Ni bonjour, ni bonsoir, je le répète. Ce sont des musulmans ; des filles, il leur en faut trois ou quatre à chacun, ne l’oublie pas.

     - Facho ! Jeta Sylvie, outrée.

     - Occupe-toi de tes affaires !

     Manon ne savait que dire, heurtée par l’intervention de son copain et par sa véhémence. Elle n’avait rien contre les Arabes, et rien contre Rachid qui se comportait toujours bien avec elle. Elle aimait moins Ahmed, l’autre Maghrébin de sa classe, mais pas du tout en raison de ses origines. » (p.12-14)

     

    Les rebeus

     

    « Le conseiller d’éducation, quant à lui, se rendit rapidement compte du caractère raciste de l’affaire, ce qui inquiéta le principal.

     Celui-ci venait d’un collège d’une grande ville de banlieue, où les problèmes de racisme faisaient partie de la vie de tous les jours, en raison d’une forte proportion, dans un même établissement, d’élèves d’origine étrangère, issus de familles aux conditions de vie souvent difficiles. Problèmes en tous genres, entre Français d’origine (ou du moins de longue date), Maghrébins, Noirs, Turcs, Kurdes, y compris entre élèves arabes et professeurs juifs de confession. Parfois, les Français se trouvaient en minorité ; ils subissaient alors, eux aussi, les pratiques racistes du groupe majoritaire de leur classe. » (p.42-43)

      

    « - D’accord, déclara M. Dévolu, il n’existe aucune preuve de la culpabilité de qui que ce soit. Mais soyons logiques, réfléchissons à qui profite le crime, entre guillemets, fit-il en accompagnant ses paroles d’un geste. Et il conclut : Je n’en dirai pas plus.

     Il n’en dit pas plus, non, mais chacun pensa aux élèves maghrébins. Qui d’autre aurait commis cet acte de vandalisme ? Même Sylvie ne put rejeter l’insinuation du conseiller d’éducation. Seul, le professeur de mathématiques, toujours lui, rappela qu’on manquait d’éléments tangibles, palpables, indispensables pour condamner :

     - Sous-entendre, suggérer, prétendre sournoisement… Je ne suis pas d’accord avec cette façon de faire... » (p.68-69)

      

    «- Le principal voulait une punition exemplaire. Ils vont afficher la décision, pour bien montrer qu’aucune violence ne sera plus tolérée, qu’il faut filer droit, et le reste… Ils ont surtout insisté sur les circonstances aggravantes pour les rebeus : la mob, le nez cassé, le guet-apens à trois dans le couloir. (…)

     Cette fois, il s’agissait de Thibaut, un Thibaut triomphant :

     - (…) Je te l’avais dit que je m’en sortirai : juste une petite semaine de vacances et on n’en parle plus ! Quand aux rebeus, ils sont virés pour de bon ! On a gagné ! On ne verra plus leurs gueules, on reste entre Français au collège ! Mon père est si content qu’il m’a promis une mob neuve à la rentrée ! Depuis le temps que je la voulais…

     Une mob neuve ! Trois mots qui firent tilt, sans que Manon ne sache pourquoi. Elle s’entendit demander :

     - Au fond, ça t’arrange d’avoir eu tes pneus crevés ?

     La voix de Thibaut baissa d’un ton, mais resta aussi excitée, enthousiaste :

     - Ouais, ça fait d’une pierre deux coups : ma mob était pourrie, j’en aurai une autre, et les rebeus sont passés aux chiottes !

     - Dis donc, t’aurais pas crevé tes pneus toi-même ?

     - Qu’est-ce que ça peut faire ? Y a que le résultat qui compte ! » (p.73-74)

      

    (Un jour, au collège de Bertrand SOLET)

     

     

     

     

    « Le pouvoir de la paroleJe ne grandirai plus »
    Partager via GmailGoogle Bookmarks Blogmarks

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :