• Des traces indélébiles

     « - Puisque tu es convoqué demain chez le juge, dit Ange à son père, tu pourras donner ta version des faits. Depuis le début, tout le monde parle et toi, tu ne peux pas t'expliquer. Au moins, là, tu en auras l'occasion.
    - Je n'ai rien fait. On peut prouver que quelque chose existe, mais comment prouver qu'on n'a rien fait ? » (p.44)

      

    « - Si on savait ce qui se passe dans certaines familles… le coupe Mlle Berthier.

     - Mais, tant que les choses ne sont pas prouvées, poursuit M. Madurier, les personnes qui sont mises en cause sont censées être innocentes.

     Il y a un silence. Puis la voix de son père reprend, sourde, grave :

     - Moi, en tant que parent d’élève, je ferais probablement pareil. J’ai toujours dit qu’il faut protéger les enfants contre les actes pédophiles. Quand je pense que, l’an dernier, c’est moi qui ai organisé la séance d’information sur les agressions sexuelles !

     

    - Comment va-t-on enseigner, demande Ange, s’il n’est plus possible de regarder un enfant, de lui poser la main sur l’épaule ou de lui parler dans un couloir sans qu’aussitôt on prenne le risque d’être taxé de pédophilie ? Les profs de gym sont en première ligne. » (p.46)

     

     

    Des traces indélébiles

    « Finalement, c’est une histoire qui semble bien finir puisque Léo Gastégui, le prof de gym a été sauvé et complètement innocenté. Le rectorat d’académie a diffusé un communiqué officiel pour le réhabiliter. Le journal a publié deux articles annonçant son innocence en première page. Le juge a signé le non-lieu.

     

    Oui, c’est une histoire qui semble bien finir.

     (…)

     Après son congé de maladie, le père de Tristan a réintégré son poste, mais il continue à prendre des médicaments, parce qu’il dort mal et qu’il est anxieux. Il fuit le collège dès que ses cours sont terminés et il a laissé tomber les ateliers dont il s’occupait avant. Un jour, Tristan l’a surpris en discussion avec Philippe :

     

    - Les élèves ont compris que je n’avais rien fait de mal, disait-il, mais ils baissent presque tous les yeux en ma présence. Ils m’ont imaginé en pédophile capable d’exercer des attouchements sexuels sur un élèves, en violeur, en obsédé. Je n’ose plus poser la main sur le bras ou l’épaule d’un enfant sans me dire qu’il va prendre mon geste pour quelque chose de louche. Est-ce que j’ai encore la confiance des enfants et des parents ? Totalement, comme avant ? Sans parler des profs. Certains collègues m’ont soupçonné. Tant de pédophiles sont démasqués à notre époque qu’il leur est apparu presque normal qu’on en découvre un dans leur collège. N’est-ce pas cette psychose qui explique la précipitation de l’administration ? Quant aux parents, trente-neuf m’ont accusé, des dizaines se sont tus, pas un ne m’a soutenu.

     

    Après un silence, son père avait ajouté d’une voix sourde :

     - Et encore, le pire a été évité. Imagine ce qui serait arrivé si Steve Plicard n’avait pas avoué ! J’en ai des frissons.

     Les articles des journaux ont laissé des traces indélébiles. Il faut peu de temps pour être inculpé, bien davantage pour être innocenté, et les preuves les plus convaincantes n’effacent jamais totalement les soupçons. » (p.91-93)

      

    (Bruits de couloir de Roger JUDENNE)

     

     

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