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De l'autre côté...
« Quand ils avaient su que je vivais dans un appartement de la cité des Mille, leur visage s’était modifié.
- T’es des nôtres, alors…
Je n’avais rien répondu, juste levé un sourcil interrogateur.
- Faut qu’on t’explique… Ici, t’as deux clans. Les petits bourgeois bien propres qui se pavanent en voiture au portail du collège, le matin. Ceux-là, ils habitent de l’autre côté, tu piges ? De l’autre côté… Des petites maisons gentiment collées les unes aux autres avec garage et jardin. Et puis t’as les autres, ceux qui vivent aux Mille, comme nous, empilés les uns sur les autres , et qui viennent à pied le matin, en coupant à travers le square… C’est pas plus compliqué que ça... » (p.33-34)
« « La tête haute », ça veut dire que j’ai purgé ma peine, que j’ai payé pour mes conneries. On est normalement quittes, la justice et moi ! Une fois dehors, une fois franchie la porte de la maison d’arrêt, on devrait désormais me regarder comme n’importe qui, ne plus faire attention à moi. Je sais que ce ne sera pas le cas. Pendant longtemps, je traînerai un écriteau autour de mon cou : « Gérard Lemarchand, ex-taulard » ! Les bruits circulent vite… Les bouches s’ouvrent facilement pour parler des autres, encore plus facilement pour en dire du mal. La taule, il suffit d’une fois pour en faire toute sa vie. Même si tu n’es condamné qu’à trois ans, tu prends « perpète ». Bien sûr, une fois sorti, il n’y a plus de barreaux aux fenêtres… Pour autant, les surveillants sont toujours là : les voisins, regards invisibles derrières les rideaux, épient tes faits et gestes comme les matons à travers l’œilleton de ta cellule, pendant la ronde. Les gens sont toujours là pour te rappeler ton passé de détenu, à la première occasion. Il a suffi de trois permissions pour que je m’en rende compte. «Qui a bu boira... » dit-on. Un taulard, c’est un homme en sursis. A l’avenir, si je commets la plus petite bêtise, si je ne mets pas ma ceinture de sécurité, si je grille malencontreusement un stop, tu peux être certain que ça n’étonnera personne… Un ex-taulard a tous les torts. Toujours. » (p.96-97)
(Libre sur paroles de Michel LE BOURHIS)
Tags : discrimination, inégalités sociales, banlieue, prison, identité, préjugés
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