• Nous ne sommes pas sous-développés

    "Il regardait distraitement les gens de l'autre côté de la rue, sur le terrain communal. Il les voyait tous les jours. Ils faisaient maintenant partie du décor, comme le canon de la guerre civile, les monuments de la guerre mondiale, et la hampe du drapeau. Des hippies. Des enfants fleurs. Des gens de la rue. Des vagabonds. Des marginaux. Tout le monde avait un nom différent à leur donner. Ils apparaissaient au printemps et restaient jusqu'en octobre, ne faisant rien, interpelant parfois les passants, mais la plupart du temps vivant tranquilles, languissants et paisibles. Ils le fascinaient et il enviait parfois leurs vieux vêtements, leur laisser-aller, la façon dont ils semblaient se moquer de tout.

     (...)

     Absorbé dans ses pensées, il ne remarqua pas que l'une de ces personnes s'était détachée des autres et traversait la rue, en évitant adroitement les voitures.

    Nous ne sommes pas sous-développés

     "Eh, vieux !"

     Stupéfait, Jerry se rendit compte que le type lui parlait.

     "Moi ?"

     Le gars était dans la rue, derrière une Volkswagen verte, la poitrine appuyée contre le toit de la voiture. "Oui, toi." Il avait environ dix-neuf ans, des cheveux longs et noirs lui tombant sur les épaules, une moustache ondulée, comme un serpent noir et flasque étendu sur la lèvre supérieure, les extrémités retombant sur le menton. "T'as les yeux braqués sur nous, vieux. Comme tous les jours, t'es là à nous regarder."

     Ils disent vraiment vieux, pensa Jerry. Il ne pensait pas qu'on disait encore vieux, sauf en plaisantant. Mais ce type ne plaisantait pas.

     "Eh, vieux, tu crois que nous sommes dans un zoo ? C'est pour ça que tu nous reluques ?"

     "Non. Ecoutez, je ne vous regarde pas." Mais pourtant si, tous les jours, il les regardait.

     "Si, vieux. Tu te mets là et tu nous regardes. Avec tes livres de classe et ta belle chemise et ta cravate blanc et bleu."

     Jerry regarda autour de lui, mal à l'aise. Il ne vit que des étrangers, personne de l'école.

     "Nous ne sommes pas sous-développés, vieux."

     "Je n'ai pas dit ça."

     "Mais on le dirait." (p.20-21)

      

    (La guerre des chocolats de Robert CORMIER)

     

     

     

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