• Le jeu des interactions sociales

    « Ces témoignages mettent en évidence au moins trois aspects relatifs au vote. premièrement, ils participent à se défaire du "modèle normatif d'un citoyen autonome de sa volonté (Mariot, 2010)" : les personnes avec le droit de vote ne sont pas des êtres purement rationnels dont les manières de faire, les valeurs et les opinions seraient des attributs individuels uniquement construits par la personne elle-même ; comme tous les autres citoyens, les personnes vivant avec un handicap sont dans un jeu d'interactions et d'interlocutions les uns avec les autres, recherchent la mise en relation ou au contraire l'évitent. Deuxièmement, ces témoignages m'amènent à analyser l'acte de vote non pas uniquement comme un droit, un devoir, un acte civique technique ou politique, mais également comme un acte social qui vient produire de la sociabilité ou au contraire la détériorer. Cette sociabilité ne se fait pas uniquement avec les proches (amis, famille, pairs, etc.) mais également avec les professionnels qui les accompagnent.

    Troisièmement (...) : la charge émotionnelle du débat et des prises de position. Le risque de la dispute et la confrontation des idées est également vrai pour n'importe quelle personne, dans tous les cercles familiaux ou professionnels. Certaines personnes en tutelle ont donc bien conscience qu'elles doivent se protéger de ce risque en prenant des précautions ; elles connaissent l'impact que cela a sur les relations. » (p.51-52)

     

    Le jeu des interactions sociales

    « Certaines des personnes protégées interrogées n’ayant pas le droit de vote ont décrit ce que j’appellerai un jeu d’interactions sociales :

    « A l’ESAT, on évite de parler politique parce qu’on s’engueule. C’est chaud le sujet politique, ça crée du débat. Je n’ai pas le droit de vote, mais ça ne m’empêche pas d’avoir un avis. Des fois, je ne suis pas d’accord. J’écoute et je dis que je ne suis pas d’accord. »

    (Personne vivant avec un trouble psychique en tutelle. Extrait de carnet de terrain, 20 avril 2017)

     

    Ce témoignage n’est pas nécessairement représentatif de toutes les personnes à qui le droit de vote a été retiré. Toutefois, il montre qu’une dynamique entre pairs est possible, y compris pour ces personnes protégées n’ayant pas le droit de vote. » (p.89)

     

    « D’un côté, certains parents se sont demandé quel sens peut avoir le vote d’une personne ne comprenant pas ce qu’est une élection, un Etat, un gouvernement, un maire, un président de la République, etc. Ce type de perception tend à faire apparaître les limites de la dynamique de réciprocité dans la relation entre un aidant et un aidé. Elle n’est pas incompatible avec le fait d’éventuellement accepter que la personne aidée puisse avoir le droit de vote. Toutefois, dans tous les cas, pour ces parents, la mise en œuvre de ce droit serait inopérante car il n’y aurait pas d’accès social possible à ce droit. Ainsi, cette version maintiendrait, de fait, une situation d’exception au regard du droit, et donc une altérité, une dysmétrie, deux mondes différents et dissociés entre les personnes qui peuvent voter ou non, tout en ayant le souci de la personne.

    A L’autre extrémité, certains parents ont revendiqué le droit de pouvoir voter en leur nom et au nom de leur enfant qui ne pouvait se présenter par lui-même. Dans ce cas, il n’y a pas véritablement de processus de prise de distance : les convictions politiques de la personne aidante sont très probablement indifférenciables de celles de la personne aidée, tout en assurant le respect de l’individualité et du soin apporté à cette dernière.

    D’autres proches ont juste mentionné la portée symbolique de ce droit sans considérer pour autant que la personne l’exercerait. Cette posture traduit bien une forme d’empathie, d’attention, d’écoute et de responsabilité mais elle ne se couple pas nécessairement à un engagement et un investissement de la part de la personne aidante pour accompagner au vote. » (p.108)

     

    « Tendre pleinement vers ce modèle décalé et alternatif demanderait de sortir d’un raisonnement binaire ; autonomie versus assistance, handicap versus valide, faire avec versus faire à la place de, intégration versus exclusion, inclusion versus institution, médical versus social, aide versus soin, etc. Nous diriger vers une société recourant à une éthique de la vulnérabilité demanderait à la société d’appréhender les catégories qui composent les configurations de handicap dans ce qu’elles ont de récursives avec l’ensemble des citoyens. (…) Ces catégories seraient récursives si elles étaient appréhendées dans un mouvement mutuel avec la construction de la société, si on cherchait non plus à adapter la société à une catégorie de la population mais si on essayait de repenser toute la société avec ces catégories pour envisager une autre version de nos structures et dynamiques sociales. Pour ce faire, ces catégories sont à envisager comme produit et effet l’une de l’autre : alors elles se confronteraient et s’opposeraient, mais aussi se combineraient ou s’interpréteraient. » (p.125)

     

    (Vote et handicap de Cyril DESJEUX)

     

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