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Un homme ça vit avec une femme
« - André, s'il te plaît.
- Quoi, « André, s'il te plaît » ? je suis désolé, Colette, mais il y a des choses que je ne peux pas accepter. Je n'ai pas ton ouverture d'esprit, je n'ai pas ta largeur d'idées. Moi, les gens qui marchent à la voile et à la vapeur, je...
- André ! s'exclame Colette. N'emploie pas ce genre d'expression. C'est tellement... vulgaire.
- Tu préfères quoi ? Que je dise pédé ! Et la prochaine fois que je croise le maire et qu'il me demande des nouvelles de Gilles et de sa petite famille, qu'est-ce que je lui dis, au maire : « Oui, ça fait longtemps que Gilles n'est pas venu. Mais vous savez, il est très occupé. Il est pédé, maintenant. »
Colette plaque sa main sur sa bouche, les yeux brusquement remplis d'effroi. En voyant le regard de sa femme, André tourne la tête. Théo se tient contre le montant de la porte.
Il fixe son grand-père. Le mot qu'il a crié résonne dans sa tête. Pédé. Mais de qui parle-t-il ? Il ne peut pas s'agir de son père. Gilles lui a dit qu'il avait rencontré quelqu'un avec qui il voulait vivre. Ça ne peut être qu'une femme qu'il a rencontrée. Un homme ça vit avec une femme, pas avec un autre homme. » (p.62-63)
« Bref, Lola ne s'est pas trompée. C'est bien deux hommes qu'elle a dessinés. Gilles a dû lui parler avant de partir sans doute. Cela semble si simple pour elle. Leur papa aime un homme, donc cet homme est son amoureux. Point final. Pourquoi Théo n'arrive-t-il pas à voir les choses comme elle ? » (p.73)
« - Oui, tu m'as bien entendue. Elle a demandé à son fils de ne plus fréquenter Théo. Tom est le meilleur ami de Théo. Est-ce que tu y as pensé quand tu t'es affiché avec ton... copain ?
- Je ne me suis pas affiché avec lui, se défend Gilles. J'aurais cru que tu me connaissais assez pour savoir que jamais je ne ferais une chose pareille. Je suis désolé, Alice, mais la mère de Tom est une pauvre femme, et si Tom l'écoute, c'est qu'il ne vaut pas mieux qu'elle. Tu ne vois donc pas que, justement à cause de ce qui s'est passé, il est temps que Théo et Lola apprennent à se défendre. Je ne suis pas naïf, il y aura d'autres attaques. Il faut qu'on leur donne les armes nécessaires pour lutter contre tous ceux qui, comme la mère de Tom, véhiculent des a priori, sont bourrés de préjugés et se permettent de juger les autres sans les connaître. Pendant la guerre ce sont des gens comme elle qui ont dénoncé les Juifs. Et les homosexuels ! Ce sont eux qui les ont envoyés dans les camps de la mort. » (p.108-109)
« - Lola, est-ce que tu sais comment on appelle les hommes qui vivent avec d'autres hommes ?
- Non. Ils ont un nom ?
- Bien sûr qu'ils ont un nom ! Même que c'est homosexuel ! s'était exclamé Théo.
- Et les hommes qui vivent avec des femmes, comme papa avant avec maman ?
Théo avait regardé sa sœur, interdit. A quoi bon essayer de lui faire comprendre. Dans le monde de Lola, les mots qui faisaient mal, c'étaient sorcière, monstre et démon.
- Les hommes qui vivent avec des femmes ? avait-il fini par répéter. On les appelle des papas quand ils ont des enfants.
- Alors, tu diras à ceux qui t'ont embêté que papa, c'est un papasexuel, vu qu'il nous a nous et qu'il vit avec Seamus, avait-elle déclaré en s'asseyant au bord de son lit. » (p.117-118)
« - Pourquoi déchires-tu cette étiquette ?
Théo observe sa mère. Qu'essaie-t-elle de lui faire dire ? Et pourquoi s'intéresse-t-elle soudain à cette étiquette ?
- Je ne sais pas, dit-il. De toute façon, elle ne sert à rien. Qu'elle soit là ou pas, l'eau dans la bouteille aura le même goût.
- Tu penses vraiment qu'elle ne sert à rien, insiste Alice. Si aucune bouteille n'avait d'étiquette, comment savoir quelle eau on boit ?
- Qu'est-ce qu'on en a à faire de savoir quelle eau on boit ! Toutes les eaux se ressemblent !
- C'est faux. Chaque eau provient d'une source, et chaque source est différente.
Théo redresse la tête. Le mot « différent » éveille en lui des résonances qui le touchent en plein cœur. Qui le dérangent, même. Il ne peut plus l'entendre comme avant. (…)
- Papa aussi est différent dit-il.
(…)
- Oui, tu as raison, il est différent des pères de tes copains, mais tu auras beau déchirer toutes les étiquettes qu'on lui collera, il sera toujours ton père. » (p.128-129)
« Alice observe son fils avec attention puis, d'une voix à peine au-dessus du murmure, elle lui demande :
- Est-ce que tu as honte de papa ?
Théo baisse les yeux et enroule l'un des lambeaux de l'étiquette autour de son index. Honte ? Il ne s'est jamais posé la question. Est-ce qu'il tait l'homosexualité de son père parce qu'il a honte ? Est-ce pour cette raison qu'il ne veut pas qu'on le voie dans la rue avec Seamus ? Non, il la tait parce que ça ne regarde personne, parce qu'en grandissant, il a appris à séparer, et bien avant le divorce de ses parents, ce qu'il vit chez lui de ce qu'il vit au collège.
Tous ces copains ne font-ils pas la même chose ? Au collège, plus personne ne parle de ses parents, sauf pour les critiquer. » (p.133-134)
« Oui, deux hommes vivant ensemble, c'était possible, et cela valait mieux qu'un homme et une femme qui se déchirent et ne se supportent plus. » (p.164)
(Ne le dis à personne de Josette CHICHEPORTICHE)
Tags : homophobie, homosexualité, discrimination, homoparentalité, préjugés, honte, différence, vie privée
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