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Trop grande...
Gulliverte
« Vint une belle gaillarde
Épaulée comme un camion
Les yeux comme des mansardes
Et puis les cheveux si longs
Qu'on aurait dit l'autoroute
Qui va de Marseille à Aix
Elle mettait en déroute
Tous les donneurs de complexes
Elle dit "Je suis Gulliverte
Et je me sens bien
Vous me trouvez grande, certes,
Je n'en disconviens
Mais vraiment, mes petits hommes,
Vous êtes charmants
Vous me regardez en somme
Comme un monument
Grande, grande, je suis grande
Je m' demande
À quoi servent ces échelles,
Ces escabelles"
Par amour ou par bravade
On en vit une flopée
Entreprendre l'escalade
De la belle démesurée
Mais ils se perdaient en route
Ou bien ils dégringolaient
Ne pouvant la saisir toute
La plupart abandonnaient
Elle dit "Je suis Gulliverte
Et vous m'épatez
Je ne me suis pas offerte
À vos privautés
Car enfin, mes petits hommes,
Si je vous fais peur,
Vous semblez ignorer comme,
Comment bat mon cœur
Grande, grande, je suis grande
Je m' demande
Comment vous faire comprendre
Que je suis tendre"
Ils lui dirent "Tu es moche !
Mais pour qui donc te prends-tu ?
Tu n'as rien dans la caboche
Et puis tu es mal foutue
Non vraiment, pour rien au monde
Nous ne voudrions de toi
Tu es vraiment trop immonde
Tu ne nous inspires pas"
Alors on vit Gulliverte
Se ratatiner
"C'est une trop grande perte
Je veux être aimée
Prenez-moi, mes petits hommes,
Je raccourcirai
Je serai comme trois pommes
Si cela vous plaît
Grande, grande, je suis grande
Je m' demande
Quoi faire pour qu'on me désire
Et même pire"
Quand elle fut assez petite
On voulut bien l'épouser
On l'engrossa au plus vite
Pour l'empêcher de bouger
Elle fut, sans crier grâce,
Une admirable maman
Sans un rêve qui dépasse,
Trompée raisonnablement
Et puis on vit Gulliverte
Se mettre à changer
Et par la fenêtre ouverte
On l'entendit chanter
Elle dit "Mes petits hommes
Je me sens grandir
Et je me retrouve comme
Dans mes souvenirs
Grande, grande, j'étais grande
Je m' demande
Ce qui a pu me contraindre
À tant vous craindre"
Elle se mit sans scrupules
À s'allonger à vue d'œil
Ses soupirants minuscules
Durent en faire leur deuil
Malgré leurs échafaudages
Leurs gradins, leurs ascenseurs,
Leurs chansons et leurs chantages
Elle reprit sa hauteur
Elle dit "Je suis Gulliverte
Et je me sens bien
Vous me trouvez grande, certes,
Je n'en disconviens
Maintenant, mes petits hommes,
À vous de grandir
Comptez plus que je me gomme
Pour pas vous ternir
Grande, grande, je suis grande
Je m' demande
Si c' n'est pas par votre faute
Que je suis haute
Grande, grande, je suis grande
Je m' demande
{x2:}
Comment vous faire comprendre
Que je suis tendre"
Anne SYLVESTRE – Tant de choses à vous dire (1986)
Tags : sexisme, féminisme, estime de soi, harcèlement, différence, marginalité
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