• Les préjugés

    « Il est arrivé un après-midi chargé de livres et de photos, avec un grand rouleau sous le bras. Plus tard, il l’a déplié et accroché au tableau : c’était une carte de l’Afrique.

     - Bien, a-t-il commencé, nous avons maintenant quatre petits Africains dans notre classe, il serait peut-être temps que l’on parle un peu de l’Afrique. Ou plutôt qu’ils nous en parlent !

     C’est curieux, j’ai tout de suite senti que ça partait mal. D’abord, il ne semblait pas très sûr de lui avec sa carte de l’Afrique. (…)

     Ensuite, les « petits » Africains, ça tombait mal : ce sont les plus grands de la classe…

     - Voyons, Fatoumata, par exemple, d’où viens-tu ?

     - Des Charmilles, monsieur, a répondu Fatoumata, qui habite dans la cité.

     Toute la classe a rigolé. Sauf Fatoumata. Et Mamadou.

     - ça suffit, a fait le maître. On a déjà dit, il me semble, qu’on ne se moquait pas des erreurs des autres. Fatoumata, ne les écoute pas. Je ne te demande pas où tu habites, mais de quel pays tu viens.

     - Je suis française, monsieur.

     - Tu es française… Pourtant, a poursuivi le maître en regardant la carte comme pour chercher du secours, tes parents sont maliens, je crois.

     - Oui, mais comme mon père est né avant l’indépendance du Mali, quand c’était encore une colonie, et que moi je suis née en France, je suis française, a expliqué tranquillement Fatoumata.

     - Bon, a dit le maître, réalisant que ça lui faisait un Africain de moins pour sa leçon, tu connais quand même ton pays, enfin je veux dire celui de tes parents, le Mali, non ?

     - Non monsieur, a avoué Fatoumata comme si elle avait fait une bêtise, je n’y suis jamais allée.

     (…)

     - Bon, ce n’est pas grave, voyons : qui d’autre ? a-t-il demandé. Toi, Sony ?

     - Moi, m’sieur, mon père est zaïrois et ma mère angolaise, mais moi je suis né en Belgique. Je crois que mon père a demandé la nationalité . J’ai jamais été en Afrique non plus. » (p.34-36)

      

    Les préjugés

      

    «La vie des autres est parfois si compliquée qu’on préfère s’en tenir à ce qu’on pense savoir plutôt qu’essayer de comprendre. Comme le puzzle, quand on s’acharne à placer n’importe quelle pièce au lieu de chercher la bonne. On appelle ça avoir des « préjugés », nous a expliqué maman.

     « Tout le monde a des préjugés. Il faut faire très attention, c’est comme les microbes sur les mains : avant de manger il faut se laver les mains ? Eh bien, avant de parler avec quelqu'un qu'on ne connaît pas suffisamment, il faudrait se nettoyer le cerveau, pour éliminer tous les préjugés. Ce sont des parasites, des courts-circuits dans les neurones qui font réagir trop vite et empêchent de comprendre les autres !  C’est la peur ou la paresse qui donnent des préjugés : bien souvent, on préfère coller une étiquette sur les gens, (…) plutôt que les laisser s’exprimer et essayer de les comprendre. »» (p.80)

       

    « - Vous autres, les étudiants africains, on vous connaît, vous êtes tous pareils ! Vous venez en France soi-disant pour faire des études et vous vous arrangez toujours pour rester !

     L’employée de la préfecture, protégée derrière son guichet, regardait Clément dans les yeux. On était en septembre, il avait fait la queue depuis sept heure du matin pour s’entendre dire ça à quatre heures de l’après-midi. A chaque rentrée, les étudiants étrangers doivent faire renouveler leur carte de séjour en présentant une inscription pour la nouvelle année scolaire. Clément, qui souhaitait continuer ses études dans une école privée, demandait un délai pour trouver l’argent nécessaire. La guichetière ne voulait rien entendre, le ton monta. » (p.95)

      

     « - De quoi faire de sacrés voyages avec toutes les nationalités représentées, mais que des « sans-quelque chose », remarqua Patrice avec ironie, des « sans-papiers », des « sans-abri », des « sans-ressources ». Pourtant, ensemble, en réunissant le peu qui nous restait, on avait à peu près tout ce qu’il fallait ! Et quand il manquait quelque chose, on trouvait toujours quelqu’un dans l’usine qui avait ce qu’on cherchait.

     L’avantage, c’était que chacun rencontrait toujours quelqu’un de plus « sans » que lui ; ça lui évitait de trop penser à ses soucis. » (p.105)

         

    (Mamadou a disparu de Christian NEELS)

     

     

     

    « La fille qui vit sansIntersectionnalité »
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