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Les heures souterraines
"- Croyez-vous qu’on est victime de quelque chose comme ça parce qu’on est faible, parce qu’on le veut bien, parce que, même si cela parait incompréhensible, on l’a choisi ? Croyez-vous que certaines personnes, sans le savoir, se désignent elles-mêmes comme des cibles ?
(…)
- Je ne crois pas, non. Je crois que c’est votre capacité à résister qui vous désigne comme cible."
"Elle n'en parle pas. Même à ses amis.
Au début, elle a essayé de décrire les regards, les retards, les prétextes. Elle a essayé de raconter les non-dits, les soupçons, les insinuations. Les stratégies d'évitement. Cette accumulation de petites vexations, d'humiliations souterraines, de faits minuscules. Elle a essayé de raconter l'engrenage, comment cela était arrivé. A chaque fois, l'anecdote lui a semblé ridicule, dérisoire. A chaque fois, elle s'est interrompue."
"Elle a cru qu'elle pouvait résister.
Elle a cru qu'elle pouvait faire face.
Elle s'est habituée, peu à peu, sans s'en rendre compte. Elle a fini par oublier la situation antérieure, et le contenu même de son poste, elle a fini par oublier qu'elle travaillait dix heures par jour sans lever la tête.
Elle ne savait pas que les choses pouvaient basculer ainsi, sans retour possible.
Elle ne savait pas qu'une entreprise pouvait tolérer une telle violence, aussi silencieuse soit-elle. Admettre en son sein cette tumeur exponentielle. Sans réagir, sans tenter d'y remédier. [...]Mais quand elle y réfléchit, le soir, allongée dans son lit ou plongée dans l'eau bouillante d'un bain, elle sait très bien pourquoi elle se tait.
Elle se tait parce qu'elle a honte.""Elle ne savait pas que les choses pouvaient basculer ainsi, sans retour possible.
Elle ne savait pas qu'une entreprise pouvait tolérer une telle violence, aussi insidieuse soit-elle. Admettre dans son sein cette tumeur exponentielle. Sans réagir, sans tenter d'y remédier"(Les heures souterraines de Delphine de Vigan)
Tags : harcèlement, entreprise
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