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L'alcoolisme est une maladie complexe
« - C’est une vraie crise d’hystérie, gémit sa mère.
Du coup, son père se leva et allongea une taloche à sa fille, histoire de la calmer.
Pour l’hystérie, c’était peut-être salutaire. Mais je savais, moi, qu’il s’agissait de bien autre chose.
La révolte, la frustration de n’avoir pu exprimer son désespoir, ses angoisses, toutes les questions qu’elle s’était posées au sujet de la mort. Elle devait beaucoup souffrir.
Je trouvais étrange qu’un médecin puisse déceler une maladie mais demeure aveugle devant le mal de vivre de sa propre fille. » (p.19)
« - Larry, tu crois que je suis normale ?
- C’est quoi, être normale ?
- Être comme les autres.
- Ils sont comment les autres ?
- Ils rient, ils ont plein de copains, ils n’ont pas d’angoisses…
- Qu’est-ce qui t’angoisse à ce point ?
Elle hésita, plongea son visage dans ses mains comme si le monde entier pesait sur ses épaules.
- De ne pas savoir qui je suis.
- On se pose tous cette question, un jour ou l’autre.
- Mais non, pas tout le monde…
- Tu n’es pas tout le monde. Chacun de nous est unique.
- C’est bien ce qui me fiche la trouille !
- Pourquoi ?
- Parce que je suis mal avec moi ! » (p.55)
« Je ne m’étais jamais interrogé sur les raisons qui poussaient les gens à boire ou à se droguer. Jim était un joyeux luron, tout le contraire d’Adélaïde. Des petits joints circulaient au collège mais je n’y avais jamais touché. Un type de ma classe avait dû tâter de la dure, car il avait subi une cure de désintoxication. Ensuite, plus personne ne l’avait revu.
Mais quand il s’agit de quelqu’un qu’on aime, c’est différent. A qui en parler ? Un prof ? Lequel ?
Maman, je devinais sa réponse : « Je te l’avais dit, cette fille n’est pas normale… je vais en toucher deux mots à ses parents ! » » (p.79)
« - Larry, le fait de boire ne signifie pas que l’on soit alcoolique.
Je levai sur lui un regard étonné.
- On ne devient pas alcoolique, on l’est. L’alcoolisme est une maladie qui peut s’éveiller à n’importe quel âge de la vie, ou bien jamais. Tout dépend des circonstances, continua-t-il paisiblement.
- Une… maladie ?
- Il ne faut pas confondre gros buveur et alcoolique. Le gros buveur peut s’arrêter quand il veut. Tandis qu’un seul verre suffira à éveiller ce mal chez l’alcoolique. Il ne pourra plus s’arrêter, et il sera en manque.
Adélaïde était-elle alcoolique… ou buvait-elle seulement pour s’amuser ? Comme Jim ?
- On peut donc être alcoolique et ne pas le savoir ?
- Oui. Comme toutes les maladies en sommeil. Celle-ci peut s’éveiller tôt ou tard, à la suite d’un choc émotionnel, ou bien s’être laissé entraîner par des copains. On boit un premier verre pour se sentir mieux dans sa peau, puis c’est la descente aux enfers.
- C’est… c’est héréditaire ?
- Pas obligatoirement. L’alcoolisme est de nature physiologique et psychique. De nombreux facteurs sont déterminants. Par exemple, un manque de sucre dans l’organisme, un mal de vivre permanent. C’est une maladie complexe et difficile à diagnostiquer.
- ça se soigne ?
- Oui, à condition de le vouloir, de renoncer à l’alcool, et de suivre une thérapie pour apprendre à vivre avec soi-même.
- Et ensuite, on est guéri ?
- Pas exactement, Larry. Un organisme fragile demeure vulnérable. On cesse d’être esclave de l’alcool, on retrouve sa joie de vivre, mais au premier verre, on repique.
Le silence retomba.
- Parle-moi de ton cousin, reprit-il. A-t-il eu un coup dur ? Subi un choc émotionnel ?
- Oui, dis-je en pensant à Beauregard.
- Et il a trouvé refuge dans l’alcool. C’est ça ?
- Un peu...oui.
- Alors, il continuera de boire. l’alcool est un mauvais ami. Il soulage provisoirement les problèmes affectifs, le malaise… Ton cousin t’a dit qu’il buvait ?
- Non… je m’en suis aperçu, mais il s’en cache.
- C’est normal. Les alcooliques culpabilisent. Ils sont rusés, soupçonneux, ils craignent d’être jugés quand ils ont un verre à la main. C’est ce qui les différencie des gros buveurs qui boivent ouvertement et se fichent éperdument de ce que pense l’entourage en les voyant tituber.
J’étais troublé par toutes les idées reçues qui me trottaient dans la tête.
Brad Bennett me regardait attentivement.
- Tu vois, Larry, dit-il lentement, ce n’est pas une tare. Les alcooliques ne sont pas méprisables, mais infiniment malheureux. Ils sont secrets, solitaires, hypersensibles. Ils sont obligés de mentir pour cacher leur mal de vivre à leur entourage. Ils ne dorment plus et, à la longue, ils peuvent devenir violents, souffrir d’hallucinations et sombrer dans la folie. » (p.81-84)
« - Quelles sont les intentions de son père ?
- C’est un toubib, je suppose qu’il songe à une désintoxication.
- Depuis quand boit-elle ?
- Presque un an.
- Dans ce cas, une cure à l’hôpital la fera souffrir, mais ne réglera pas son problème. As-tu entendu parles des Alcooliques Anonymes ?
(…)
- Oui. Mais je vois mal Adélaïde s’inscrire dans ce club !
- Ce n’est pas un club, Larry. C’est une association bénévole qui aide à rester sobre.
(…) J’irai voir son père. Toi, essaie de convaincre Adélaïde de s’y rendre. Car vois-tu, si elle refuse de s’avouer malade, personne au monde ne pourra l’aider. » (p.104-105)
« Si le docteur Larive digérait difficilement le problème dont souffrait sa fille, Harriett s’obstinait à le minimiser. Ce qui relevait de l’exploit, car Adélaïde traversait toutes les phases qui découlent du sevrage. Tantôt dotée d’une incroyable énergie. Tantôt sombrant dans l’abattement total. Le tout assaisonné souvent d’une humeur massacrante.
Je faisais l’apprentissage des formules à éviter :
« Comment tu te sens ? Est-ce que tu dors assez ? Tu veux qu’on discute ? »
Elle explosait comme une grenade :
- Je suis en super forme ! Qu’est-ce que ça peut te faire que j’aie ou non bien dormi ! On ne roupille pas ensemble ! Tu vas bientôt me lâcher les baskets ?
Je les lui lâchais, mais une heure plus tard :
- Pourquoi tu fais cette tête, mon Larry ? » (p.133)
(L’enfer secret d’Adélaïde de Jackie LANDREAUX)
Tags : alcoolisme, dépression, deuil, marginalité, différence
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