• Il m'a forcée à voir

     

    « - Bon, tu vas tout me raconter. Qu'est-ce qui s'est passé, Clémentine ?

     

    Je ne réponds pas, je demande :

     

    - C'est quoi, un exhibitionniste ?

     

    Je perçois un petit cri étranglé au fond de sa gorge.

     

    Elle inspire profondément avant de parler :

     

    - C'est une personne qui a un comportement un peu bizarre. Il y a des hommes qui... comment dire ça simplement... qui montrent leur... qui montrent leur zizi aux passants, dans la rue ou dans les bois. En fait, ils le montrent à n'importe qui, n'importe où. Ils sont malades dans leur tête. Heureusement, le plus souvent, ils s'arrêtent là. Ils ne font rien de plus. Tu comprends ? Ça t'est arrivé ? C'était quand ? Pourquoi tu n'as rien dit, pourquoi tu n'en as pas parlé tout de suite ?

     

    J'ai envie de crier : « Pourquoi vous n'avez rien remarqué ? », mais je fais signe de la tête pour lui faire comprendre qu'elle a deviné.

     

    Elle me demande encore : « Il t'a touchée ? Il t'a fait mal ? »

     

    Cette fois-ci, je fais non de la tête. Mais le non, c'est seulement pour la première question. Même s'il n'a pas posé ses grosses mains dégueulasses sur moi, je n'avais pas envie de voir ce qu'il m'a montré. C'est ça qu'il m'a fait : il m'a forcée à voir.

     

    (…)

     

    Il m'a forcée à voir

     

    Je redresse la tête, je la regarde dans les yeux, j'inspire profondément et je lui crie au visage, même si elle se tient à quelques centimètres de moi :

     

    - Comment tu peux dire que c'est pas grave, que c'est fini ! Tu ne peux pas dire ça, maman. J'ai eu mal tellement j'ai eu peur !

     

    Je hurle, j'ai presque envie de la secouer pour qu'elle comprenne. Je ne peux plus m'arrêter de parler. Je lui raconte encore, je lui donne d'autres détails, son retard lundi dernier à la sortie du collège, tous ces lundis où je dois rentrer seule depuis qu’Émilie a déménagé, et l'année prochaine où je serai seule dans la rue tous les soirs. Et cette peur qui grossit, qui enfle, qui m'étouffe, qui m'empêche de vivre comme avant. Des larmes énormes continuent à envahir mes joues et ça me pique sous les yeux. Plus les mots sortent, plus je les crache, je les vomis de plus en plus fort : « Ce n'est pas fini, tu ne peux pas dire ça ! Jamais ! Tu ne sais pas ce que j'ai vécu. J'ai eu peur pendant des heures, des jours, des semaines entières. Personne ne m'a aidée. Et aujourd'hui, j'ai toujours aussi peur. Ça continue. Tu as bien vu, tout à l'heure dans les bois, j'ai même peur quand je suis avec toi. » Je me tais quelques secondes, puis je rajoute en hurlant : « Rien n'est fini. Tu es nulle, tu n'as rien compris ! » (p.67-71)

     

     

     

    (La camionnette blanche de Sophie KNAPP)

     

     

     

     

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