• Hikikomoris

    « Je ne suis pas un hikikomori typique, repris-je. Pas un de ceux dont on parle dans les livres et les articles de journaux que l’on dépose de temps en temps sur le seuil de ma porte pour que je les lise. Je ne lis pas de mangas, je ne passe pas mes journées devant la télévision, ni la nuit devant l’ordinateur. Je ne construis pas de maquettes d’avions. Les jeux vidéos me donnent la nausée. Rien ne doit me distraire de la tentative de me préserver de moi-même. De mon nom par exemple, de mon héritage. Je suis fils unique. De mon corps, dont les besoins n’ont pas cessé, pour me maintenir. De ma faim, de ma soif. Au cours des deux années où j’ai décroché, mon corps était plus fort que moi trois fois par jour. Alors j’allais furtivement jusqu’à la porte, je l’entrouvrais et je soulevais le plateau que maman avait déposé. Quand il n’y avait personne à la maison, je me faufilais dans la salle de bains. Je me lavais. Etrange, ce besoin de me laver. Je me brossais les dents, je me peignais les cheveux. Ils étaient devenus longs. Un coup d’œil dans le miroir : j’existe encore. Je réprimais le cri coincé dans ma gorge. De lui aussi, je devais me préserver. De ma voix, de mon langage. Le langage dans lequel je note à présent que je ne sais pas si le hikikomori existe seulement. De même qu’il existe des chambres très différentes, il existe des hikikomoris très différents, qui se sont recroquevillés sur eux-mêmes pour les raisons les plus diverses et de la manière la plus variée. » (p.53-54)

       

    Hikikomoris

    « Les premiers temps, je ne suis sorti que lorsque j’étais certain que nul ne me dérangerait dans mon existence. Mon existence consistait à ne pas être là. J’étais le coussin sur lequel nul ne s’asseyait, la place qui restait vide à table, la prune entamée sur l’assiette que j’avais redéposée devant la porte. » (p.56)

       

    « Je pris conscience du fait que papa et maman avaient été, eux aussi, des hikikomoris. Eux aussi avaient été enfermés avec moi dans la maison, puisque ma vie était liée à la leur. Pas de promenades à la mer. Pas de week-ends à O., la terre natale de ma mère. Un cinéma de temps en temps, ça oui. Être assis dans le noir. De temps en temps au restaurant. Avec des amis que l’on n’avait pas vus depuis une éternité. De temps en temps pour quelques heures en voiture. Partir, tout simplement, et imaginer comment ce serait de continuer la route. Jusqu’au bout du monde. Puis s’arrêter et se dire : Il y a quelqu’un qui a besoin de nous. Faire demi-tour. Et rentrer. Régulièrement, à quelques jours d’intervalle, aller chez les Fujimoto et faire ses courses. Petit déjeuner, déjeuner et dîner. Maman n’a jamais laissé passer aucun des repas. Parfois il y avait un tee-shirt avec. Des chaussettes. L’hiver, un pull-over. Beaucoup de lettres que je n’avais pas lues, que j’avais laissées devant la porte sans les avoir ouvertes. Je me demandais à présent de quoi elles avaient bien pu parler. Peut-être du fait que cela les avait rendus heureux de constater qu’il manquait un coca-cola dans le réfrigérateur ou que le carrelage de la salle de bains était mouillé. Mais peut-être aussi du fait que cela les avait rendus très tristes. Peut-être du fait qu’il leur était difficile de comprendre ce qui m’avait conduit à me fermer à eux. » (p.163)

       

    (La cravate de Milena Michiko FLASAR)

     

     

     

    « Des monstresHomophobe »
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