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Gueule cassée
« Yann est un adolescent particulier, fragile. Il a été le bouc émissaire de son collège, de son lycée à présent. Mon époux et moi-même ne comprenons pas les raisons de cet acharnement. Je préférerais l'indifférence à cette violence continue. Actuellement, il passe ses journées dans sa chambre. Je l'ai rendu invisible aux autres.
(…)
Yann était « La Prisonnière » moderne, une réécriture du roman de Proust. Enfermé pour ne plus souffrir. » (p.16)
« Je suis Yann, j'ai dix-sept ans. Il y a six ans, j'ai été victime d'un terrible accident de la route. Mon père conduisait. J'ai eu la langue sectionnée. Le visage cabossé. Depuis, je suis incapable de prononcer un mot. Je suis muet. Je suis également sujet à des maux de tête terribles. Je ne supporte pas le bruit. » (p.24)
« Yann était assis, je ne voyais que son dos. A sa posture, je devinai qu'il était en train d'écrire. Il se tourna finalement. Je ne laisse personne indifférent. Yann non plus. Son visage portait les stigmates de l'accident. Un visage qui lui donnait l'apparence d'un personnage de cire, rien de l'adolescence. Tout était figé. Aucune évolution en perspective. Seuls ses yeux étaient libres d'exprimer une émotion. La surprise.
Il me tendit sa tablette.
« Je devrai tout écrire. Je ne vous ai pas menti. Vous avez vu comme je suis arrangé. Une sculpture ratée. »
- Vous avez griffonné ces mots en avance. Vous vous attendiez à mon étonnement, mais je remarque que vous êtes tout aussi surpris de me voir. Nous avons donc un point commun, nous ne laissons personne indifférent.
« Vous avez fait une drôle d'impression à ma mère l'autre jour. Elle s'est posé mille questions à votre sujet. Elle vous imaginait autrement, avec une allure plus imposante, en costume. Elle a perçu un côté féminin... » (p.41)
« Constat
Yann est indifférent au monde extérieur. Hors du monde. Qui peut lui en vouloir ? Son existence post-traumatique s'est réduite à une accumulation d'humiliations. Il est devenu au fil du temps un champion dans l'art du bouc émissaire. Un type qui prend pour les autres. Il lui a fallu s'extraire pour éviter les coups. » (p.51)
« Dans mon imagination, je suis un être moyen. Pas beau. Juste moyen. Quelqu'un qui laisse tout le monde indifférent. Quand on est adolescent, on veut être beau, spectaculaire. Quand on a ma tête, on veut seulement être transparent. 90% des gens le sont. Je fais partie des 2% qui suscitent la pitié et la moquerie. » (p.131)
« Je ne vais plus en cours. je ne supportais plus le regard des autres... ou l'absence de regards. » (p.218)
(Aux petits mots les grands remèdes de Michaël Uras)
Tags : handicap, monstruosité, harcèlement scolaire
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