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Ce que gogol veut dire
« C'est l'été précédent ma rentrée en CE2. Une nouvelle famille vient d'emménager en face de chez moi. Ils ont un garçon, Ricky, d'à peu près mon âge. On a tous les deux le même vélo, un super Schwinn fluo : c'est plus qu'il n'en faut pour devenir amis vite fait bien fait. Il n'articule pas bien et il réfléchit au ralenti, mais il marche vite. Chacun de ses pas est rapide et délibéré, comme s'il était toujours en retard. Nous passons l'été entier ensemble. Et c'est trop bien. Et puis l'école reprend. Devant tout le monde et dans la cour, Ty Zarnstorff dit : « Hé Mim, si tu aimes tant Ricky le Gogol, pourquoi tu ne te maries pas avec lui ? » Tout le monde rigole. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'en sais suffisamment pour me rendre compte que ce n'est pas gentil. Alors je colle un coup de poing à Ty, je lui casse le nez et je me fais virer un jour de l'école. Ce soir-là au dîner, je demande à Maman ce que « gogol » veut dire et si Ricky est un gogol. Elle dit : « Gogol c'est un mot très méchant utilisé par des gens très méchants. Ricky a une maladie qui s'appelle la trisomie 21, et ça veut juste dire qu'il est un peu plus lent que les autres, c'est tout. (…)
Il y a bien pire dans la vie que d'être un peu lent d'esprit, dit-elle. Tu as cassé le nez de ce gamin, n'est-ce pas ? Celui qui s'est moqué de Ricky ? » Je dis « Affirmatif, madame. » « Bien », conclut-elle. » (p.126-127)
« Walt sautille sur son siège et applaudit en poussant de petits couinements. Sans me laisser le temps de le calmer, Beck détourne son objectif sur lui et, une fraction de seconde, je vois la scène se dérouler au ralenti. Un sourire intense et sincère sur le visage de Beck, il sourit AVEC, pas A. Maman disait qu'on apprenait beaucoup sur une personne à la façon dont elle traitait les innocents, et Walt est l'incarnation pure et simple de l'innocence. Tout comme Ricky. Je repense à Ty Zarstorff et à ses petits clones brutaux, unis dans leur mépris pour les enfants qui s'écartaient de la meute. Même s'ils étaient inoffensifs, naïfs ou faibles. Même si Ricky avait fini par arrêter d'essayer de se faire des amis et décidé de demeurer dans le désir pathétique qu'on lui fiche la paix.
Même si j'étais amie avec Ricky cet été-là, avant, Dieu me pardonne, de l'ignorer à la récré, en classe, à la cantine et au sport. Purée, je n'arrive pas à croire que j'ai fait ça. Et mes instincts ne se sont pas améliorés avec le temps. Au lieu de me joindre au rire, à la joie immaculée, comme Beck, ma première réaction à l'enthousiasme de Walt a été de vouloir le calmer. De minimiser sa honte. Minimiser la mienne, en fait.
Je me retourne vers la vitre, avec mon sourire à moi, plus timide que je ne le voudrais. Et je pleure en pensant à tous les Ricky et tous les Walt du monde, qui sourient au nez de tous ces Ty Zarnstorff. Je pleure parce que je n'ai jamais souri comme ça, pas une seule fois de ma vie. » (p.202-203)
(Mosquitoland de David ARNOLD)
Tags : marginalité, différence, trisomie, handicap mental, honte, discrimination
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