• Anorexique

     

    « Trente-cinq degrés de température, huit de tension, aménorrhée, dérèglement du système pileux, escarres, ralentissement du pouls et de la pression sanguine, nous avons là tous les signes de la dénutrition. » (p.17)

     

     

     

    « Anorexique. Ça commence comme anorak, mais ça finit en hic. Dix pour cent en meurent à ce qu'il paraît. Par inadvertance peut-être. Sans s'en rendre compte. De solitude, sûrement. » (p.21)

     

     

     

    « Il dit la priorité c'est assurer la renutrition. Dans l'altération de l'état nutritionnel, on observe un certain nombre de phénomènes qui renforcent l'anorexie. Dénutri, le corps éprouve de moins en moins la sensation de faim. A l'intérieur, les muscles ne font plus leur boulot. le cerveau n'est plus alimenté. Il faut restaurer les fonctions. Il dit qu'elle doit commencer par grossir, avant tout, pour être capable de sentir à quel point elle est maigre. Elle doit manger pour se rendre compte qu'elle est capable de vaincre cette angoisse et qu'elle peut vivre autrement que dans le manque. » (p.34)

     

     

     

    « La sonde impose l'impossible, l'inacceptable, des calories par centaines, insidieuses, une liqueur saturée distillée goutte à goutte dans son ventre meurtri. mais la sonde n'est associée à aucun geste, aucun goût, aucun plaisir. la sonde ne crée pas de dépendance. Elle fait le sale boulot, presque en silence. » (p.35)

     

     

     

    « Elle cherche ça avant tout : garder le contrôle. Le risque de dépendance vient de ce qu'elle absorbe par la bouche. Elle avale chaque morceau en se disant qu'elle pourrait aussi bien ne pas le faire, que sa volonté est entière. Elle cherche la preuve de sa puissance intacte, j'arrête quand je veux, quand j'aurai repris des forces, juste de quoi survivre. Je repartirai dans les rues, je boufferai du trottoir à en perdre conscience. Elle mange pour sauver son corps, parce qu'elle ne veut pas mourir. Elle connaît maintenant de source scientifique le seuil en dessous duquel est le est en danger. Il suffit d'arriver jusque-là et de se maintenir à ce poids, un pied dans l'assiette, un pied dans la poubelle. Le souvenir de l'ivresse est encore si proche, cette ivresse du jeûne qui l'appelle parfois. » (p.36)

     

     

     

    « Elle avance, petit à petit. Pourtant, plus elle grossit, plus elle a peur de s'être laissé prendre au piège, de ne plus savoir se battre. Mais se battre contre quoi. » (p.54)

     

     

     

    « Entre anorexiques, on demande d’abord combien – combien de kilos, combien de calories, combien de temps – on ne demande pas pourquoi. Ce sont des choses qui viennent plus tard, avec le sel des larmes. » (p.58)

      

    Anorexique

     

     « Lanor, l'anorexique, le squelette titubant pendu à ses basques, qui lui chuchote encore son dégoût à l'oreille et se réjouit de ses errances. Lanor qui la brûle de l'intérieur. Elle écrit par petits bouts ce cri infini jusque là resté muet. Ce cri qu'ils n'ont pas su entendre. La vacuité de sa carcasse mise à nu, tout ça pour rien. » (p.100)

     

     

     

    « Sur une photo prise quelques jours avant son hospitalisation, elle découvre ce rictus qu'on ose maintenant lui décrire. La fixité du regard, son visage tiré, sa peau presque transparente. Une copine lui raconte un jour les stratagèmes dont elle usait lorsqu'elles avaient rendez-vous, pour voir Laure d'abord à son insu, cachée derrière un pilier ou un abri-bus, avoir le temps de s'habituer. Ils disent tu faisais tellement peur, tu avais l'air tellement déterminée, tellement lointaine? Ils disent on ne savait pas comment t'aborder, te parler, tu étais inaccessible. » (p.109)

     

     

     

    « Laure déballe à ses pieds, par petits paquets compacts, cette faim de vivre qui l'a rendue malade, elle le comprend maintenant, cet appétit démesuré qui la débordait, la débraillait, ce gouffre insatiable qui la rendait si vulnérable. Elle était comme une bouche énorme, avide, prête à tout engloutir, elle voulait vivre vite et fort, elle voulait qu'on l'aime à en mourir, elle voulait remplir cette plaie de l'enfance, cette béance en elle jamais comblée.

     

    Parce qu'il faisait d'elle une proie offerte au monde, elle avait muré ce désir dans un corps desséché, elle avait bâillonné ce désir fou de vivre, cette quête absurde, affamée, elle se privait pour contrôler en elle ce trop plein d'âme, elle vidait son corps de ce désir indécent qui la dévorait, qu'il fallait faire taire.  » (p.116)

     

     

     

    (Jours sans faim de Delphine de VIGAN)

     

     

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