• Un être dont la conscience est en perdition

    « Le corps peut être bien portant, il se révèle, pourtant, incapable d’épauler un esprit défaillant. Un esprit qui sort de ses espaces convenus. S'affranchissant des usages ordinaires et bousculant les repères familiers, il refuse l'embrigadement et dessine sa propre maison dans son environnement singulier. Nouveaux espaces d'un nouveau monde qu'il faut apprendre à découvrir. Obéissant à des ressorts encore inconnus, cet esprit devenu insaisissable déroute et dérange. » (p.11)

     

     

     

    « Mais pourquoi n'a-t-il pas tiré la sonnette d'alarme ? Pas une seule fois il ne s'est plaint d'un trouble, n'a manifesté une angoisse. Pour la protéger, elle ? Ou pour se murer, lui, dans un déni absolu ? » (p.25)

     

     

     

    « Il n'a pas affronté la discorde que son heureux chaos a engendrée. Se peut-il que cette fuite du conflit soit aussi à l'origine de sa plongée ? S'est-il, au fur et à mesure qu'il revendiquait sa liberté, abreuvé à la fontaine de Léthé qui assure l'oubli et ainsi dispense de la culpabilité et du remords ? Il aurait en quelque sorte mis en place dès l'âge de quarante ans les mécanismes précurseurs de la maladie d'Alzheimer. Réfugié dans sa citadelle intérieure qui est devenue peu à peu une « forteresse vide ». (p.49)

     

    Un être dont la conscience est en perdition

     

    « Immergée malgré moi, sans préavis ni préparation, dans cette maladie, je me suis débattue à ma façon, frappée et encore aujourd'hui étonnée que l'on ne s'occupe que du symptôme sans se soucier ni de son origine ni de son sens.

     

    (…)

     

    J'ai l'intime conviction que seule une explication multicausale de la maladie est valable et que son traitement ne peut résulter que d'une approche pluridisciplinaire. » (p.51-52)

     

     

     

    « Je voyais le personnel s'irriter contre ces « résidents difficiles » qui posaient cent fois la même question, exprimaient des désirs irréalisables, réclamaient des attentions qu'on n'avait pas le temps de leur accorder. Ils erraient au milieu des fauteuils roulants et des tables de jeux, exilés sur une planète qui n'était pas la leur, privés de l'affection qu'ils revendiquaient. » (p.57)

     

     

     

    « Son atteinte est la pire de toutes les formes apparentées à la maladie d'Alzheimer, cessez de vous raconter des histoires... Oui, il peut exister une migration des fonctions cérébrales d'une région à une autre permettant une réorganisation, sinon une récupération, mais dans son cas c'est impossible, l'atteinte du cerveau est diffuse. Aujourd'hui la zone cognitive est détériorée, bientôt la motricité, la locomotion. Que ferez-vous de votre nomadisme ? Et vous ? Avez-vous pensé à vous ? S'il vous arrive le moindre pépin, que deviendrez-vous tous les deux ? Si vous voulez le protéger, trouvez-lui un placement adapté. C'est désormais la meilleure solution pour tous les deux... Renseignez-vous, il en existe dans la région... » (p.80)

     

     

     

    « Dès que je disparais de sa vue, il me cherche, m'appelle, cogne les portes qui m'isolent jusqu'à ce qu'elles s'ouvrent. Pour finir, il gagne toujours, et aujourd'hui j'ai encore craqué. Je n'aurais pas dû. Il nous reste si peu de temps. » (p.88)

     

     

     

    « Il paraît absurde qu'une chose aussi simple ait pu m'émerveiller. Et pourtant je le répète encore et encore, pour qu'une chose aussi simple ne soit jamais oubliée par quiconque rencontrera un être dont la conscience est en perdition. Que l'on n'oublie plus jamais de lui parler normalement, comme à un humain à part entière, sans décider à sa place des mots qu'il pourra comprendre, sans le priver des yeux qui le regardent, d'une voix qui lui parle. A lui. A elle. » (p.95)

     

     

     

    « L'Alzheimer raté, c'est lorsque le désir d'oubli ne suffit pas à abolir la souffrance réelle ou imaginaire. cit. André Chevance, Alzheimer et le désir d'oubli, Dunod, 2005. » (p.103)

     

     

     

    « Si les cris, les larmes sont une manifestation explicite de l'angoisse, que penser de ceux qui se taisent ? Parce qu'ils n'expriment rien, ne ressentent-ils rien ? Comment les comprendre quand ils offrent une surface lisse, l'impression d'être déjà ailleurs, dans un nouveau monde où l'angoisse ne régnerait plus ? Alors que dans celui où ils sont encore, chaque geste de la vie quotidienne peut la provoquer. » (p.104-105)

     

     

     

    « Les visiteurs entrent armés de courage avec un petit bouquet d'amour biodégradable, des chocolats qui ne seront pas mangés, des livres qui ne seront pas lus. Et pourtant c'est dans l'imminence de l'instant, dans la rencontre entre ceux du dehors et les exilés du dedans que surgit une étincelle d'humanité.

     

    Approchez-vous, ils ne sont pas contagieux. D'accord. Mais voici que surgit une nouvelle peur. « Qu'est-ce qu'on va leur dire ? » Peur primitive du vide. Ce vide qu'on leur attribue à cause de la parole absente, de la parole décousue, absurde ou inaccessible. Avec cette maladie de l'oubli, on n'arrête pas d'oublier l'essentiel : la conscience n'est qu'une partie émergée de notre activité mentale. Si elle est déficiente, cela suppose-t-il que tout le reste, cet énorme morceau de notre iceberg pensant et ressentant, a fondu avec le reste ? Le langage ne représente qu'une parcelle de nos capacités de communication. Notre incapacité à entrer en contact avec ces malades ne signifie pas forcément qu'ils n'ont plus de vie intérieure, de sentiments, de sensations. » (p.115-116)

     

     

     

    (Alzheimer mon amour de Cécile HUGUENIN)

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