• Un décalage perpétuel

     

    « Chaque personne est un cas d'espèce, et il est capital de toujours garder cela en tête afin de considérer chacun dans le respect de sa singularité. Il ne s'agit pas d'un surdoué, ou d'une précoce, mais avant tout d'un être humain. Qu'il soit doué d'une intelligence hors de la norme ne fait pas moins de lui un individu à part entière.

     

    Ni meilleur ni moins bon du fait de cette particularité, il ne doit surtout pas être envisagé par le seul prisme de cette spécificité et réduit à cette précocité. Mais la pire injure consiste encore à la nier, à la contester ou à la retourner contre lui. La gageure consiste à trouver le juste milieu. » (p.44-45)

      

    Un décalage perpétuel

     

    « Elijah, de son côté, avait immédiatement détecté l’hostilité de la directrice. Particulièrement sagace, il la sentait malveillante et était persuadé qu’elle ne bougerait pas le petit doigt pour lui rendre la vie moins pénible. (…)

     

    Aussi avait-il ouvertement choisi de se mettre en retrait en refusant inflexiblement de jouer le jeu : snobant les fameux ateliers, faisant un pas de côté dès qu’il s’agissait de la vie de la classe, répugnant à faire semblant d’être heureux. Il ne voyait pas l’intérêt d’être regardé encore plus différemment par les autres élèves, et comme il ne trouvait aucun soutien du côté de l’enseignante, il essayait autant que faire se peut de ne pas sortir du lot.

     

    Au prix d’une lente agonie, je le voyais s’éteindre, se mettre en veille dès qu’il entrait dans la cour de l’établissement. Il attendait avec abattement que les heures passent et que sonne l’heure de la délivrance. A la maison, dans la voiture, il était naturel, et dépensait en classe une énergie considérable à cacher méthodiquement qui il était, persuadé qu’il valait mieux se faire petit. Il me dit un soir :

     

    - A l’école, j’essaie d’être monsieur Tout-le-Monde.

     

    Et je tremblais en anticipant le jour où il ne pourrait plus se détacher de ce faux-self [concept développé par Donald Winnicott = c’est une construction de personnalité de façade dont l’individu s’habille pour être conforme aux attentes d’un environnement et se fondre dans la masse]. » (p.34)

     

     

     

    « Dans l’imagerie d’Epinal, un surdoué est en fait un prodige, une entité rare et supérieurement intelligente, brillante en tous domaines. Il est un être infaillible qui ne connaît pas l’échec, la réussite vient à lui presque comme par magie. Nulle place dans ce croquis pour l’hyperémotivité et pour l’affect, seul l’intellect froid et pragmatique y trouve sa place.

     

    Ces figures réductrices adoptées par automatisme constituent une terrible injustice à l’encontre de ces personnes décalées, qui n’ont pas choisies de l’être. Enfants comme adultes, elles souffrent de ces incompréhensions quotidiennes et répétées, de ces jugements rapides mais aussi dénués d’empathie et d’humanité. Comment pourrait-il en être autrement quand les intéressés se sentent en totale contradiction avec cette description sans complaisance dans laquelle ils ne se reconnaissent pas un instant ?! Se trouvant moyens en tout, pour ne pas dire nuls dans d’innombrables domaines, et culpabilisant aussi de faire mentir ce haut QI censé déterminer un aussi haut niveau de performance, en parfaite proportionnalité. Ils se lamentent en croyant être passés à côté de leurs ambitions d’enfant et avoir renoncé à leurs rêves. Ils ont continuellement l’impression d’être un extra-terrestre oublié sur Terre par leur vaisseau, avec presque l’envie de ne plus bouger jusqu’à ce que ce dernier s’en rende compte et revienne fissa les chercher, ne comprenant pas vraiment le sens du monde qui les entoure et n’arrivant pas forcément à y trouver une place.

     

    On les perçoit comme imbus de leur personne, pédants, usant délibérément de mots complexes dans le but de rabaisser et d’humilier les autres avec un plaisir malsain. Alors qu’ils passent leur temps à se remettre en question, à se déprécier et à douter, de tout, et plus encore d’eux-mêmes, à tenter de comprendre tous ces codes qui leur font tellement défaut, et à analyser encore et encore, de façon quasi obsessionnelle, des échanges ayant pris une tournure qu’ils n’avaient pas vu venir et qui les ont fait se sentir plus anormaux encore.

     

    « Qu’ai-je bien pu dire pour me faire rabrouer de la sorte ? » ; « Qu’attend-on de moi ? » Voilà les questions incessantes que se posent de nombreux enfants et adultes intellectuellement doués en situation sociale courante, tout en croisant les doigts pour ne pas reproduire la faute tant redoutée, celle qu’ils n’ont toujours pas pu identifier. Ce décalage perpétuel, cette incapacité à être entièrement présent dans une conversation, dans un échange (qui, s’il n’a pas une certaine profondeur, n’aura à leurs yeux qu’un très faible attrait), sans se poser alors mille questions, est éreintant, mais aussi incommensurablement énergivore pour celui qui ne peut faire autrement, parce que c’est sa nature et qu’il ne peut s’en détacher. » (p.77-79)

     

     

    (Les Tribulations d’un Petit Zèbre d’Alexandra REYNAUD)

     

    « Additionnons nos différencesDifficile à prouver »
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