• Tous savaient, forcément

     

    « Son portable vibra.

     

    MMS.

     

    Il cliqua.

     

    Une photo apparut. Son sang se glaça.

     

    - Non, c'est pas vrai !

     

    En maillot ridicule, avec un bonnet de bain vert d'où dépassait une crinière flambant rouge, c'était censé être lui, là ? Épaules tombantes, torse blanc, jambes en baguettes chinoises, et le visage difforme, moche, aux yeux globuleux ?

     

    En dessous, en caractère gras : « Noyons Anton le pou ! »

     

    Il avala sa salive. Il était au bord de la nausée.

     

    Il lut le nom de l'expéditeur. Jérémy ! Il ne comprenait pas.

     

    Un SMS suivit : « Tu nous avais caché ça, le pou ! T'es trop naze en maillot ! Demain tous tes amis de Facebook te verront ! Et tous les amis de tes amis... et tous les amis des amis de tes amis... Signé : Jérémy. » (p.17)

     

     

     

    « Il recliqua dessus. Et le dégoût l'envahit de nouveau. « On » ne l'avait pas loupé. Plus que hideux, il était ridicule.

     

    (…)

     

    Il ferma les yeux. Il se rappelait très bien : à partir de là, il avait recommencé à se replier sur lui-même. A mentir à ses parents pour leur cacher ce qu'il vivait. Parfois, il avait si mal que tout son être le faisait souffrir. Mal au dos, mal aux épaules, nausées, vomissements.

     

    Ses notes avaient chuté.

     

    Aucun des camarades n'en avait parlé, mais tous savaient, forcément. Tous, sûr, avaient reçu la première, la deuxième et... 

     

     

     

    (…)

     

     

     

    Il serra les poings à se blesser. Cette fois, il n'allait pas se laisser humilier, subir en silence.

     

    « Demain, tous tes amis te verront ! »

     

    Demain !

     

    La photo ne devait pas être envoyée. Si elle était publiée sur Facebook, il n'oserait pas se présenter au lycée le surlendemain. Il ne pourrait plus jamais se présenter au lycée. Il ne pourrait pas regarder Marion en face.

     

    Il devait stopper cela.» (p.24-25)

     

     

    Tous savaient, forcément

     

     

    « - Les flics sont revenus dans le lycée. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je crois qu'il faut leur dire pour les photos sur les portables. Pour leur enquête, on ne peut plus le leur cacher.

     

    (…)

     

    - C'est une entrave au bon déroulement de l'enquête, vous savez, dit tout fort Hakim. C'est peut-être même de la complicité.

     

    - Et n'avoir rien dit depuis six mois, c'est quoi ? Avoir fait semblant de ne rien savoir, ne rien voir de l'état d'Anton, avoir reçu les photos et s'être tus, ce n'était pas de la complicité aussi ?» (p.92-93)

     

     

     

    « - Quelles photos ? demanda Salomé.

     

    Il y eut un long silence. Puis Noé répondit :

     

    - Écoutez, on vous a dit pour la dernière... les autres...

     

    L'omerta s'installait à nouveau.

     

    (…)

     

    - Des photos du même style, c'est-à-dire minables, et... vous n'avez rien dit ?

     

    Nouveau silence. Hakim murmura enfin :

     

    - Ce sont que des photos, truquées, c'est pas méchant.

     

    - Ce ne sont que des photos !!! Ce n'est pas méchant ! hurla Salomé.

     

    - Hé, faut être cool, moderne. Jérémy voulait s'amuser avec ces photos... Tous les élèves au lycée s'envoient des photos.

     

    - Le harcèlement et la persécution, vous connaissez ? Vous savez que ça peut détruire quelqu'un ?

     

    - Personne n'a rient dit parce qu'on est tous des lâches, cria Marion en se levant et en s'adressant à la classe tout entière. Tous de véritables cons ! »(p.94-95)

     

     

     

    « - Et les élèves, patron ? Toute la classe qui n'a rien dit ? C'est non-assistance à personne en danger...

     

    Oui, Salomé avait raison. Anton avait été victime, de son agresseur mais aussi de toute la classe. Personne ne l'avait aidé à sortir de son enfer. Des jeunes qui ne mesuraient pas la portée des nouvelles technologies, le pouvoir tueur des mots... » (p.99)

     

     

     

    « Ce qui était sûr : un jeune avait été victime de discrimination et de harcèlement de la part de ses camarades, victime aussi du silence des autres. Et à présent le harceleur était mort, et la vie du harcelé était bousillée. Le fait d'avoir provoqué la mort d'un jeune de son âge, un jeune de sa classe, qu'il connaissait, qu'il fréquentait, le hanterait toute son existence. Anton n'était pas un voyou. Dans son cri désespéré « Je ne me souviens pas », Karine avait deviné la culpabilité, qui déjà squattait son esprit, destructrice. Inconsciemment, pour ne pas devenir fou, il refusait de se souvenir. Elle avait préféré arrêter l'interrogatoire.

     

    - Merde, dit Salomé. C'est trop injuste. (…)

     

    Lui, il finit en prison, et ses camarades qui savaient et n'ont rien dit, eux, s'en sortent bien ! Ils sont responsables quand même ! Complices ! Si quelqu'un avait dit stop, Anton n'aurait peut-être pas... (Elle se reprit)... n'aurait certainement pas tué. C'est dégueulasse ! » (p.103-104)

     

     

     

    (Mise à mort de Claire MAZARD)

    « PerspectiveGrèce antique »
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