• Subir le harcèlement de rue et se sentir une proie

     « Il fallait constamment se tenir prêtes, parce que ça pouvait arriver n’importe quand. N’importe qui pouvait à n’importe quel moment faire un geste, un bruit, un pas dans notre direction.

     Et ça arrivait tout le temps bien sûr. Que des garçons passent devant des filles et que l’un d’eux serre son poing devant sa braguette et lève le bras comme un pénis en érection tout en émettant des bruits dégueulasses. Qu’un autre se joigne à son petit jeu en pressant à plusieurs reprises sa langue contre l’intérieur de sa joue. Et, pour finir, comme d’un commun accord, qu’ils déversent sur les filles tout le répertoire de mots dégradants puisés dans les films pornos.

     Il n’y avait qu’une manière efficace de répondre. Fermer la bouche, rester droite et garder le masque bien que chaque mot, chaque geste, chaque bruit s’immisce sous notre peau. Le plus souvent, on y parvenait. On se regardait dans le blanc des yeux, celle qui était en train de parler oubliait ce qu’elle disait mais ne s’interrompait pas pour autant. On l’encourageait avec des hochements de tête, en nous persuadant mutuellement en silence que tout allait bien, qu’il ne fallait pas s’occuper d’eux, pas se retourner, qu’il fallait continuer de parler, ne pas leur montrer qu’on avait peur, surtout ne pas leur montrer qu’on avait peur.

     

    Subir le harcèlement de rue et se sentir une proie

    Mais il arrivait que le groupe de garçons décide d’aller plus loin. Qu’il s’approche de nous, nous encercle, nous fixe d’un regard inflexible. Nous savions alors que nous étions les élues. Ils se tenaient tellement près de nous que leur haleine formait un mur devant nos visages et qu’il était impossible de nous retourner. Ils sortaient leur langue, la passaient sur nos joues, cherchaient nos lèvres. Leurs mains de garçons nous tripotaient, remontaient le long de nos cuisses. Ils nous chuchotaient à l’oreille de fausses répliques d’amour avec des voies apprêtées et mielleuses.

    Si on réussissait à rester de marbre, si on gardait les yeux rivés au sol pendant qu’ils nous touchaient avec leurs sales mains ou qu’ils nous léchaient avec leur sale langue, on finissait par recevoir un coup de poing dans les seins ou un gros mollard devant nos pieds. Avant de partir, ils nous sifflaient entre les dents qu’on était de vraies mochetés, qu’on était tellement répugnantes qu’aucun garçon ne voudrait jamais de nous, même si on le payait.

     On n’ouvrait surtout pas la bouche. On comptait à l’envers dans nos têtes pour réussir à ne pas bouger et à attendre que ça se termine. Mais parfois on n’en pouvait plus. Alors Momo, Bella et moi, on se mettait à crier. On leur disait de nous laisser tranquilles. On se débattait, on leur crachait au visage, on leur donnait des coups de genoux. Mais ils étaient désespérément, injustement, incompréhensiblement plus forts que nous. Ils riaient, nous attrapaient les mains et se moquaient de nos petits poings serrés. Eux seuls avaient le droit de décider quand le jeu s’arrêterait.

     Je ne supportais pas ça. Je les détestais. J’aurais pu accepter n’importe quoi, n’importe quelle humiliation pour ne pas avoir à subir ces signaux ambigus dirigés contre nous, contre les filles. Les répliques mielleuses, les mains qui malgré tout étaient chaudes contre nos corps, les sourires obliques qui malgré tout nous déstabilisaient. Et tout de suite après, le rejet, les crachats, le dégoût, les preuves de notre insignifiance. » (p.25-27)

     

     (Trois garçons de Jessica SCHIEFAUER)

     

       

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