• « - De toute façon, tu comprends de quoi je parle, Darren ? Des gays, des homosexuels ? Les gens les traitent de pédés, mais c’est péjoratif, maintenant. Avant on les appelait des tapettes. Aujourd’hui, disons que les gens sont plus politiquement corrects. Ce qui signifie…

     Darren écoutait dans un morne silence. Il ne savait où regarder, sinon par terre.

     - …Pour Eddy, je n’ai jamais été très inquiet. C’est le genre de garçon qui sait s’occuper de lui. Personne ne va se frotter à Eddy Flynn ! Mais toi…

     Darren mâchonnait sa lèvre, accablé. Il n’en croyait pas ses oreilles !

     

    - …Avec le visage que tu as, ton air si tranquille et confiant. Disons que tu ressembles plus à ta mère qu’à ton vieux et qu’à ton frère, tu vois. Je ne veux pas dire que tu aies l’air féminin – efféminé -, pas le moins du monde.

     (…)

    Suspicion

     

    Walt Flynn poursuivit, d’une voix toujours hésitante : Darren ne devait pas le comprendre de travers, il trouvait normal qu’il y ait des lois pour protéger ces gens. Et les lesbiennes aussi. Il pensait que ces lois étaient nécessaires. De même qu’étaient nécessaires les lois pour protéger les enfants contre les pédophiles. Comme ces prêtres dont on entend sans cesse parler. « Tu vois, je ne suis pas contre la culture gay. Je me rends compte que beaucoup d’homosexuels sont des gens bien, des gens corrects. Ils sont nés avec un petit problème du côté des chromosomes ou des hormones, et ils ne peuvent pas être autrement. Certains ont subi des opérations pour changer de sexe, mais ce sont des cas extrêmes. Je n’ai rien contre eux, tant qu’ils gardent les mains dans les poches et ne touchent pas à mes fils. Un ministre du culte gay, comme dans l’église épiscopalienne, ça ne me pose aucun problème. Ils ont des femmes pasteurs, alors pourquoi pas des gays ? je n’ai rien contre ceux qui sont corrects, et qui se déclarent comme tels. Mais ceux qui font semblant d’être hétéros, qui draguent dans les centres commerciaux, dans les salles de jeux vidéo, ou sur Internet… qui se cachent dans les toilettes… ça me rend malade, et pas seulement moi. »

     Le père de Darren s’était tellement énervé qu’il semblait presque parler tout seul, de façon confuse, rageuse et chaotique. Trop jeune pour comprendre que son père voulait le protéger contre tout ce qui aurait pu lui faire du mal, Darren, paralysé par la gêne, ne savait que dire. » (p.55-57)

        

    (Sexy de Joyce Carol OATES)

     

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  • « Auprès de ses collaborateurs et associés, Sarah ne laissait rien paraître. Elle avait pour règle de ne jamais parler de ses enfants. Elle ne les mentionnait pas, n’avait pas de photo d’eux dans son bureau. Lorsqu’elle devait quitter le cabinet pour une visite chez le pédiatre ou une convocation à l’école à laquelle elle ne pouvait déroger, elle préférait dire qu’elle avait un rendez-vous extérieur. Elle savait qu’il était mieux vu de partir tôt pour prendre un verre que d’évoquer des problèmes de nounou. Il valait mieux mentir, inventer, broder, tout, plutôt qu’avouer qu’on avait des enfants, en d’autres termes : des chaînes, des liens, des contraintes. Ils étaient autant de freins à votre disponibilité, à l’évolution de votre carrière. Sarah se souvient de cette femme, dans l’ancien cabinet où elle exerçait, qui venait d’être promue associée et qui, à l’annonce de sa grossesse, s’était vue destituée, renvoyée au statut de collaboratrice.

    Une violence ordinaire

    C’était une violence sourde, invisible, une violence ordinaire que personne ne dénonçait. Sarah en avait tiré une leçon pour elle-même. Lors de ses deux grossesses, elle n’avait rien dit à sa hiérarchie. Etonnamment, son ventre était resté plat longtemps : jusqu’à sept mois environ, sa gravidité était quasi indécelable, même pour ses jumeaux, comme si au creux d’elle-même ses enfants avaient senti qu’il valait mieux rester discrets. C’était leur petit secret, une sorte de pacte tacite entre eux. Sarah avait pris le congé maternité le plus bref possible, elle était revenue au bureau deux semaines après sa césarienne, la ligne impeccable, le teint fatigué mais soigneusement maquillé, le sourire parfait. Le matin, avant de garer sa voiture en bas du cabinet, elle faisait une halte sur le parking du supermarché voisin, afin de retirer les deux sièges bébés de la banquette arrière et de les placer dans le coffre, pour les rendre invisibles. Bien sûr, ses collègues savaient qu’elle avait des enfants, mais elle prenait soin de ne jamais le leur rappeler. Une secrétaire avait le droit de parler petits pots et poussées dentaires, pas une associée. » (p.37-38)

     

    (La tresse de Laetitia COLOMBANI)

     

      

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  • "Kamal parle de sa religion, de ses croyances, du Rehat Maryada,le code de conduite des sikhs qui leur interdit de se couper les cheveux et la barbe, comme de boire, fumer, manger de la viande ou se livrer aux jeux de hasard. Il parle de son dieu qui prône une vie intègre et pure, un dieu unique et créateur qui n’est ni chrétien, ni hindou, ni d’aucune confession, qui est UN, voilà tout. Les sikhs pensent que toutes les religions peuvent mener à lui, et qu’à ce titre elles sont toutes dignes de respect. Giulia aime l’idée de cette foi sans péché originel, sans paradis et sans enfer – ces derniers n’existent que dans ce monde-ci, pense Kamal, et elle songe qu’il dit vrai.

      

    La foi des sikhs

     

    La religion sikh, explique-t-il, considère qu’une femme a la même âme qu’un homme. Elle traite de manière égale les deux sexes. Les femmes peuvent réciter les hymnes divins au temple, officier lors de toutes les cérémonies, comme celle du baptême. Elles doivent être respectées, honorées pour leur rôle dans la famille et la société. Un sikh doit regarder la femme d’un autre comme une sœur ou une mère, la fille d’un autre comme la sienne. Signe révélateur de cette égalité, les prénoms sikhs sont mixtes, indifféremment utilisés pour les hommes et les femmes. Seul le deuxième nom les différencie : Singh pour les hommes, qui signifie « Lion », et Kaur pour les femmes, qu’il traduit par « Princesse »."  (p.100-101)

      

    (La tresse de Laetitia COLOMBANI)

      

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  •  

    « Ce qu’il n’a pas dit, ce que personne n’a évoqué, c’est cet effet plus indésirable encore que le syndrome mains-pieds, plus terrible que les nausées ou ce brouillard cognitif dans lequel, parfois, elle est plongée. Cet effet auquel elle n’était pas préparée, et qu’aucune ordonnance ne viendra soigner, c’est l’exclusion qui va de pair avec la maladie, cette lente et douloureuse mise à l’écart dont elle est devenue l’objet.

     

     

     

    Au début, Sarah ne veut pas mettre de mot sur ce qui se passe au cabinet. Elle préfère ignorer les « oublis » de ses collègues, et cette indifférence nouvelle dans les yeux de Johnson. A vrai dire, le terme est mal choisi, c’est plutôt une forme de distance, un étrange refroidissement de leurs échanges. Il faut plusieurs semaines de rendez-vous auxquels on ne l’a pas conviée, de réunions où elle n’était pas invitée, de dossiers qu’on ne lui a pas donnés, de clients qu’on ne lui a pas présentés, pour qu’enfin elle en ait la certitude : on est en train de l’écarter.

     

     

    L’exclusion qui va de pair avec la maladie

     

    Cette violence porte un nom, qu’elle a du mal à prononcer : discrimination. Un terme qu’elle a cent fois entendu lors de ses procès, et qui ne l’a jamais vraiment concernée – du moins le croyait-elle. Elle en connaît pourtant par cœur la définition : « Toute distinction opérée entre les personnes en raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Le terme est parfois associé à celui de « stigmate », tel que le sociologue Erving Goffman le définit : « Attribut qui rend l’individu différent de la catégorie dans laquelle on voudrait le classer. » Un individu qui en est affligé est donc un stigmatisé, qui s’oppose aux autres, que Goffman appelle les normaux.

     

    Sarah le sait maintenant : elle est stigmatisée. Dans cette société qui prône la jeunesse et la vitalité, elle comprend que les malades et les faibles n’ont pas leur place. Elle qui appartenait au monde des puissants est en train de basculer, de changer de camp.

     

     

     

    Quel recours contre cela ? Contre la maladie, elle sait comment lutter, elle a des armes, des traitements, des médecins à ses côtés. Mais contre l’exclusion, quels remèdes ? On est en train de la pousser lentement vers la sortie, de l’enfermer dans un placard, que peut-elle faire pour inverser sa trajectoire ? » (p.159-160)

     

     

     

    (La tresse de Laetitia COLOMBANI)

     

     

     

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  • « Je n’ai pas écrit comment, après mon retour à Paris et le séjour de Lucile à Sainte-Anne, le temps d’une année scolaire, j’avais cessé de m’alimenter, jusqu’à sentir la mort dans mon corps. C’est d’ailleurs précisément ce que je voulais : sentir la mort dans mon corps. A dix-neuf ans, alors que je pesais trente-six kilos pour un mètre soixante-quinze, j’ai été admise à l’hôpital dans un état de dénutrition proche du coma.

     En 2001, j’ai publié un roman qui raconte l’hospitalisation d’une jeune femme anorexique. Le froid qui l’envahit, la renutrition par sonde entérale, la rencontre avec d’autres patients, le retour progressif des sensations, des sentiments, la guérison. Jours sans faim est un roman en partie autobiographique.

     (…)

     L’anorexie ne se résume pas à la volonté qu’ont certaines jeunes filles de ressembler aux mannequins, de plus en plus maigres il est vrai, qui envahissent les pages des magazines féminins. Le jeûne est une drogue puissante et peu onéreuse, on oublie souvent de le dire. L’état de dénutrition anesthésie la douleur, les émotions, les sentiments, et fonctionne, dans un premier temps, comme une protection. L’anorexie restrictive est une addiction qui fait croire au contrôle alors qu’elle conduit le corps à sa destruction. J’ai eu la chance de rencontrer un médecin qui avait pris conscience de ça, à une époque où la plupart des anorexiques étaient enfermées entre quatre murs dans une pièce vide, avec pour seul horizon un contrat de poids.

    Le jeûne est une drogue puissante

     (…)

     Le docteur A. m’a posé quelques questions que j’ai oubliées, j’étais tendue, sur la défensive, je n’avais pas envie de parler avec cet homme, de pactiser avec lui de quelque manière que ce fût, je voulais lui montrer combien je désapprouvais son existence, à quel point je n’étais pas dupe. De quoi était-il capable, à part prescrire quelques gouttes supplémentaires à diluer dans des verres d’eau ? Soudain le docteur A. m’a demandé de m’asseoir sur les genoux de Lucile. Pour gagner du temps je l’ai fait répéter, j’ai pensé pour qui se prend-il ce connard, je portais un jean taille douze ans dont je revois la couleur, j’avais le souffle coupé, il a répété doucement : je voudrais que vous vous asseyiez sur les genoux de votre maman. Alors je me suis levée, je me suis assise sur les genoux de Lucile et, en moins de dix secondes, je me suis effondrée. Il y avait des mois que je n’avais pas pleuré, protégée que j’étais par le froid, la température basse de mon sang, endurcie par l’isolement, je commençais à devenir sourde à cause de la dénutrition, et au cours d’une même journée un nombre très limité d’informations parvenait à mon cerveau. » (p.303-306)

       

    (Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de VIGAN)

     

     

     

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  •  "De nos jours, les gens parlent et ne savent même plus ce qu'ils disent, exactement comme le mec que j'ai eu le malheur de croiser ce jour-là (...). C'est un peu comme dans le couloirs du lycée. Certains garçons se traitent de "bâtard", comme si c'était un mot gentil, affectueux. Et si vous leur demandez le sens de ce mot, je ne suis même pas sûre qu'ils sauront vous répondre. Ils l'emploient parce qu'ils l'ont entendu. C'est tout. On est en train de devenir des perroquets." (p.9-10)

      

    "Des fois, on me dit aussi que je suis canon. Canon, ça veut bien dire ce que ça veut dire : je corresponds au goût de l'époque, quoi. C'est tout. Je lui corresponds et puis je m'y conforme aussi, niveau fringues, shoes, maquillage. Je suis à la page, quoi, comme on dit. Ça peut sembler superficiel, mais je vais vous dire, ce ne sont pas les nanas qui sont superficielles, c'est la société. Les nanas, elles s'adaptent. C'est facile après de le leur reprocher. Parce que, de toute façon, on leur reprochera quelque chose, quoi qu'elles fassent... En clair : une fille qui est grosse et moche : on va se foutre de sa gueule. Une quelconque, on va lui dire qu'elle pourrait se mettre en valeur. Et une fille jolie qui fait des efforts, elle va se faire traiter de pétasse. On pensera qu'elle est superficielle, qu'elle n'a rien dans le crane. Donc une fille sera toujours ramenée à son apparence et aura forcément tord en prime. Finalement, on vit dans une société qui met la beauté plastique au-dessus de tout, tout le temps, partout, tu peux pas faire un pas dans la rue sans tomber sur une splendeur grand format, sur un panneau d'affichage ou au cul d'un bus, et quand tu ressembles à cette beauté qu'on te jette à la figure en permanence, tu te fais insulter et emmerder dans la rue. Dans ce monde, le problème pour une fille, c'est même pas d'être comme ci ou comme ça, c'est d'exister. Tout court. Notre société fait en sorte que la femme ne puisse pas être satisfaite de ce qu'elle est. Et du coup, elle veut toujours être une autre personne." (p.13-15)

     

    La condition de vie des femmes régresse

     

    "Dans ma classe, il y a une fille, on va l'appeler Carla, d'accord ? Comment vous expliquer ? Elle est grosse, et elle est moche. C'est dégueulasse de dire ça, mais c'est la vérité. Des boutons plein la figure, des cheveux fins et gras, un double menton, et de petits yeux trop rapprochés. Dans son dos, on l'appelle "gros tas" ou "face de cul". Je pense que sa vie au lycée doit ressembler à l'enfer. Des pals et des flammes. Forcément, elle compense : la bouffe et les jeux vidéo. C'est une geek. Mais geek ne veut pas dire cool, contrairement à une idée répandue. Sauf que, le moment où je l'envie, c'est quand elle sort du lycée. Parce que je suis à peu près sûre que dans la rue on ne l'aborde pas pour lui demander son 06, on ne la siffle pas, elle ne se sent pas en danger. Elle rase les murs, elle passe inaperçue. C'est à ce moment précis, donc, quand on sort du lycée, que nos réalités à elle et moi s'inversent. (...) Une fois dehors, d'ici à ce que j'arrive chez moi, ma beauté n'est plus un atout. Je me fais accoster jusqu'à dix fois. N'allez pas imaginer qu'on m'accoste gentiment, pour me flatter et me lancer des fleurs (...). Non, là, j'ai plutôt droit à des mots comme "pétasse", "chaudasse", "t'es bonne", "vas-y, tu t'appelles comment ?" Et si je ne réponds pas, des fois, on me suit, et je suis obligée de marcher plus vite. Il y a plein de gens autour de moi, OK, mais je suis seule, terriblement, parce que les gens, ils tracent leur route, rien à faire qu'un mec m'emmerde – et encore un mec, un seul, c'est quand j'ai de la chance !" (p.16-18)

      

    "Finalement, un temps ça m’a reposé d’être regardée comme une excentrique ou une malade en phase terminale plutôt que comme une marchandise consommable. Notre société dit aux femmes qu’elles doivent être belles mais elle leur donne envie d’être laides." (p.24)

      

    "Quel est mon message ?... Tout simplement que la condition de vie des femmes régresse. Peut-être que la parité est davantage respectée au gouvernement, mais la rue n'est pas l'Assemblée nationale, et en matière de respect, la rue prend parfois des allures de foutoir.

     (...)

     Ce que j'entends quotidiennement laisse des marques autrement plus profondes... Comme un mal immergé qui ronge l'intérieur. Et de fait, extérioriser ce mal, le projeter à l'extérieur, l'envoyer à la gueule du monde, est finalement plus violent pour les autres que pour moi." (p.29-31)

      

    "Aujourd'hui je pense surtout aux autres, jeunes filles, jeunes femmes, et j'ai peur pour les plus fragiles, pour celles qui se mutileront tout autrement, pour celles qui s'immoleront par le feu, par le médicament, par le sang. Ça arrivera forcément. C'est peut-être déjà fait, et je l'ignore parce que je ne sais pas tout, parce qu'on ne sait pas tout, parce que pour les journalistes comme vous, il y a trop de détresse à couvrir... Et chaque fois qu'on montre quelque chose, on devrait penser que dans le même temps on cache autre chose... Et ce que l'on choisit de montrer dit aussi précisément ce que l'on choisit de voiler." (p.38-39)

      

    (De si beaux cheveux de Gwladys CONSTANT)

     

     

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  • " Xavier était redevenu un bébé. Il avait perdu presque tous ses acquis : la marche, la propreté, la parole. Tout ça lui reviendrait, il suffisait d'être patient. Mais il n'irait pas plus loin. Bref, de bébé, il deviendrait enfant. Adulte, jamais. Et pourtant, son corps se développerait. A force de soins et d'attentions, il pourrait peut-être acquérir une petite autonomie, se livrer à quelques travaux manuels…

     Mon grand frère était devenu un attardé mental. Un anormal. Un débile.

     - Et physiquement, murmurai-je, ça se verra ? A part le trou dans la gorge…

     - Il faudra surveiller son poids... Manger deviendra un de ses grands plaisirs…

     Mes parents en savaient-il autant ? Avaient-ils compris qu'ils venaient d'hériter d'un enfant à vie ? Pensaient-ils, comme moi, qu'il aurait mieux valu que Xavier ne se réveille pas ?" (p.23-24)

       

    "Papa me reprochait de ne pas aider. En particulier, je ne voulais pas rester seul avec Xavier. J'avais peur. Il était devenu imprévisible, incontrôlable. Je criagnais qu'il se blesse en heurtant un meuble, qu'il mette le feu, qu'il se noie dans la baignoire. Il était à la fois si fort et si pataud !

     En fait, j'osais à peine lui parler. Comment gronder un frère retombé en enfance ? Comment trouver le ton ?" (p.37)

       

    Un enfant à vie

    "J'avais envie de lui dire que c'était encore plus affreux que ça. Qu'il ne comprenait rien. Qu'il mangeait gloutonnement et salement. Qu'il avait un air de bon chien. Qu'il touchait tout le monde de ses doigts moites et mous. Que ce n'était plus Xavier. Que j'aurais préféré le voir mort. Que chez nous, c'était devenu irrespirable à cause de lui. Que j'avais honte. Honte de lui, de moi, de ma mère et de son faux entrain, de mon père et de sa lâcheté. Que je voulais disparaître." (p.39-40)

      

    "J'essayais de m'imaginer qu'il était né ainsi. Il m'aurait été bien plus facile de l'aimer, de le choyer, de le protéger.

     Mais il avait été Xavier, mon frère aîné ! Mon idole, mon modèle... C'était ça qui était insupportable. Il n'avait pas le droit de me faite un coup pareil. De me lâcher et de redevenir bébé. Bébé à jamais. Je lui en voulais terriblement. J'en voulais à cette pauvre chose molle et sans défense. Quelle honte... !" (p.53-54)

       

    "A présent, il pouvait monter et descendre l'escalier, mais l'émotion le rendait maladroit et il se cognait partout. Je compris qu'il ressentait des chagrins et des joies, comme nous. C'était sans doute ça, le plus difficile : comprendre ce qui avait changé et ce qui n'avait pas changé chez lui. Il ne cessait de me surprendre. Je pense que c'est par peur qu'on fuit les handicapés. Ils nous déstabilisent, car on ne sait jamais à quoi s'attendre. Pour nous, les émotions et la compréhension vont ensemble. Avec eux, il faut apprendre à décomposer." (p.71)

      

    (Mon grand petit frère de Brigitte PESKINE)

     

     

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  • "On consent à quelque chose quand on dit oui. On ne consent pas à quelque chose quand on dit non. Jusque- là, c'est simple. Mais la vie n'est pas simple.

     (...)

    Quand on ne dit pas oui, c'est non

     Il arrive qu'on ne dise ni oui ni non parce qu'on ne sait pas trop ce qu'on veut, parce qu'on a peur de passer pour un idiot... Un exemple : vous êtes avec votre copain ou votre copine. Vous vous embrassez. L'un de vous deux veut aller plus loin. L'autre ne dit pas grand chose, pas très à l'aise : il faut considérer que c'est un non. Il ne faut pas le forcer. Il vaut mieux poser la question franchement quand on a un doute. Ce n'est pas ridicule, au contraire, ça évite les malentendus.

     (...)

     

     On a le droit de ne pas avoir envie. Harceler la personne jusqu'à ce qu'elle dise oui, c'est interdit. Pour éviter cette situation, c'est simple :

     

    QUAND ON NE DIT PAS OUI, C'EST NON." (p.40-41)

      

     ("Sans contresens = consentement"  par Zineb DRYEF et Donatien MARY in TOPO n°12)

     

     

     

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  • "Je viens d'une famille où l'on dit "la maison à mon cousin" ou "la valise à ma soeur". Où on dit "tata Nadine" et "tonton Jacques". Regarde qu'est-ce que je fais. On va sur Paris ou sur Chalon. On mange chaque soir à heure fixe devant le journal télévisé. Que les choses soient bien claires.

     

    Des fautes de goût

     Quand j'ai rencontré William, j'ai découvert un univers dont j'ignorais les usages comme les interdits. Il me reprenait, avec douceur, quand je faisais des fautes. Plus tard, il m'a félicitée pour mes progrès, je lisais des dizaines de livres et j'apprenais vite. Il était fier de moi. Quand Sonia est née, ou plutôt quand elle a commencé à prononcer ses premiers mots, il m'a dit qu'il était hors de question qu'elle appelle ma mère "mémé", ou qu'elle dise "tonton Thierry" à propos de mon frère. Les règles ont été posées. Nous avons élevé nos enfants dans la langue qui est la sienne. Ils disent "grand-mère" et "grand-père", ils vont à Paris, chez le coiffeur, ils déjeunent ou dînent, mais ne mangent jamais." (p.68)

       

    (Les loyautés de Delphine de VIGAN)

     

     

     

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  • "Il regardait distraitement les gens de l'autre côté de la rue, sur le terrain communal. Il les voyait tous les jours. Ils faisaient maintenant partie du décor, comme le canon de la guerre civile, les monuments de la guerre mondiale, et la hampe du drapeau. Des hippies. Des enfants fleurs. Des gens de la rue. Des vagabonds. Des marginaux. Tout le monde avait un nom différent à leur donner. Ils apparaissaient au printemps et restaient jusqu'en octobre, ne faisant rien, interpelant parfois les passants, mais la plupart du temps vivant tranquilles, languissants et paisibles. Ils le fascinaient et il enviait parfois leurs vieux vêtements, leur laisser-aller, la façon dont ils semblaient se moquer de tout.

     (...)

     Absorbé dans ses pensées, il ne remarqua pas que l'une de ces personnes s'était détachée des autres et traversait la rue, en évitant adroitement les voitures.

    Nous ne sommes pas sous-développés

     "Eh, vieux !"

     Stupéfait, Jerry se rendit compte que le type lui parlait.

     "Moi ?"

     Le gars était dans la rue, derrière une Volkswagen verte, la poitrine appuyée contre le toit de la voiture. "Oui, toi." Il avait environ dix-neuf ans, des cheveux longs et noirs lui tombant sur les épaules, une moustache ondulée, comme un serpent noir et flasque étendu sur la lèvre supérieure, les extrémités retombant sur le menton. "T'as les yeux braqués sur nous, vieux. Comme tous les jours, t'es là à nous regarder."

     Ils disent vraiment vieux, pensa Jerry. Il ne pensait pas qu'on disait encore vieux, sauf en plaisantant. Mais ce type ne plaisantait pas.

     "Eh, vieux, tu crois que nous sommes dans un zoo ? C'est pour ça que tu nous reluques ?"

     "Non. Ecoutez, je ne vous regarde pas." Mais pourtant si, tous les jours, il les regardait.

     "Si, vieux. Tu te mets là et tu nous regardes. Avec tes livres de classe et ta belle chemise et ta cravate blanc et bleu."

     Jerry regarda autour de lui, mal à l'aise. Il ne vit que des étrangers, personne de l'école.

     "Nous ne sommes pas sous-développés, vieux."

     "Je n'ai pas dit ça."

     "Mais on le dirait." (p.20-21)

      

    (La guerre des chocolats de Robert CORMIER)

     

     

     

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