•  

    « J'avais seize ans, je n'en pouvais plus. De l'école, des autres.

     

    Depuis des mois, ils me demandaient toujours plus d'argent. J'étais en troisième, au lycée Vertes-Feuilles, à Saint-André, près de Marquette. Ça ne s'arrêtait jamais. Ceux-là, en plus, ils étaient grands. Ils avaient au moins vingt ans. Je revenais du collège, il devait être midi et demi. Je n'étais plus très loin de chez moi, je venais de la place de la Mairie. Je ne les avais pas vus, je pense qu'ils étaient cachés derrière des voitures. Je les connaissais bien, si je les avais repérés avant, j'aurais pu m'enfuir. Mais là...

     

    J'ai toujours eu peur de les voir. Qu'ils me réclament encore des sous. Quand ils se sont lancés sur moi, je me suis retourné pour courir, mais un des trois garçons a bloqué le passage. C'est une petite rue étroite, en longueur, avec des grands murs de brique de chaque côté. Comme un tunnel. J'ai voulu faire marche arrière et courir en sens inverse, mais un deuxième s'est mis à l'autre bout. Un derrière moi, un devant moi, quand je les ai vus faire ça, je me suis dit : qu'est-ce qui se passe ? J'ai eu très peur. C'était trop tard. S'il y avait eu des passants, j'aurais été content, j'aurais demandé de l'aide. S'il y avait eu la police ou quoi, j'aurais crié. Mais il n'y avait personne.

     

    Racket sous la menace

     

    Ils ne m'ont pas cogné, ils m'ont juste mis l'arme sur la tête. Pour moi, c'était un vrai flingue, mais je n'ai pas trop fait gaffe. Quand ils me l'ont mis sur la tête, j'ai eu trop peur, j'ai pensé que c'était un vrai. Je ne sais toujours pas si c'était un vrai ou un faux. Je ne pouvais plus bouger, j'étais bloqué. Celui qui tenait l'arme, pour moi, c'était le chef. Il était un peu plus grand que moi. Ils avaient tous la même taille. Ils me fixaient.

     

    Ils m'ont dit : « Demain, tu ramènes cent euros ou on te fait la peau. »

     

    La veille, j'avais essayé de me défendre. J'avais pris un canif et j'en avais égratigné deux. C'était la première fois que je ne me laissais pas faire. Ils étaient partis en courant. Le soir, j'avais même pensé qu'ils avaient eu peur de moi et qu'ils ne reviendraient plus jamais me coincer. Mais là, j'ai vraiment cru qu'ils allaient me tuer. Les jours d'avant, ils m'avaient dit qu'ils avaient suivi mon père et qu'ils feraient du mal à ma famille. Je les croyais. J'aurais voulu aller à la police, mais j'avais peur qu'ils me le fassent payer très cher. Je pensais qu'ils allaient faire du mal à mes parents. Ils en étaient capables.

     

     

     

    Je tremblais. Ils m'ont dit que je devais ramener l'argent le lendemain. Ils m'ont dit de retourner au collège l'après-midi, de ne rien dire à personne, de revenir demain avec le fric, sinon ils allaient tuer ma famille. » (p.11-13)

     

     

     

    (Condamné à me tuer de Jonathan DESTIN)

     

     

     

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  • planche extraite du Grand Memento encyclopédique Larousse en 2 volumes (1936)

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  •  

    « Il n'était plus question de reculer. Il allait devoir le lui dire. Et ce serait la première fois qu’il prononcerait ces mots. Solomon était gay et en avait pris conscience depuis l’âge de douze ans. Oh, ça n’avait pas été bien compliqué : un jour, il avait tout bonnement constaté qu’il préférait les garçons. À cet âge-là, c’était aussi simple que ça. Il ne se préoccupait pas du jugement qu’on pouvait porter sur lui: vu qu’il n’avait aucune intention de quitter la maison, il n’aurait jamais à évoquer publiquement sa préférence. » (p.95)

     

     

     

    «  - Et ils sont au courant ? Je veux dire... que tu es gay ?

     

    - Je ne veux pas les embêter avec ça. De toute façon, on ne peut pas dire que ça ait beaucoup d'influence sur notre existence.

     

    - Mais c'est un aspect important de ta personnalité, non ?

     

    - C'est vrai, mais je ne leur mens pas non plus.

     

    - Quand est-ce que tu as su ?

     

    - Quand j'avais douze ans. Du jour au lendemain, j'ai compris que j'étais différent de mes copains.

     

    - Tu veux dire que tu as réalisé que tu préférais les garçons .

     

    - C'est bien plus qu'une simple préférence. Plutôt une particularité, comme avoir les yeux bleus ou les cheveux bruns. Sauf que je ne pouvais pas l'identifier avant de comprendre de quoi il s'agissait.

     

    - Au fond, c'est exactement comme être hétéro. Sauf que moi, je n'ai jamais eu besoin de me cacher ni de sortir du placard.

     

    - Voilà, tu as tout compris. » (p.103-104)

     

    Une particularité comme une autre

     

    « - Je suis tellement heureuse pour vous !

     

    - Attends, ne t'emballe pas. Ce n'est pas aussi simple que ça. Il est hétéro.

     

    - Ah, je vois. Je suppose que tous les garçons gays sont confrontés au même problème. Il n'est pas évident de savoir qui joue dans son équipe. Ce doit être épuisant.

     

    - De toute façon, je ne veux pas faire de la peine à Lisa.

     

    - Évidemment. Elle a été si gentille avec toi. Mais tu es sûr qu'il n'est pas... comment dire... intéressé par toi ?

     

    - Oui, ça, j'en suis certain.

     

    - Je ne sais pas trop quoi te répondre. Il me semble étrange qu'un garçon hétéro passe tout son temps avec un garçon gay... Oh, et puis non, qu'est-ce que je raconte ? C'est un préjugé parfaitement stupide !

     

    - Merci d'avoir rectifié, dit Solomon en la gratifiant d'un sourire. » (p.234)

     

     

     

    «  - Je ne veux pas continuer à vous cacher qui je suis vraiment, même s'il ne s'agit que d'un détail. Parce que ce détail fait partie de moi.

     

    - Mais de quoi tu parles à la fin ? demanda Valérie.

     

    - En fait, je crois que vous le savez déjà.

     

    Solomon n'avait pas toujours eu de la chance. Il souffrait d'anxiété pathologique, avait l'estomac fragile et il était tombé amoureux de son meilleur ami hétéro. Mais du côté parents, il avait gagné le gros lot. Il avait souvent imaginé leur réaction à l'instant où il leur révélerait enfin son secret. Ils l'assureraient que ça n'avait pas d'importance. Que ça ne changeait strictement rien. Qu'ils l'aimaient comme il était. Que rien ni personne n'y pourrait jamais rien changer.

     

    Et c'est très exactement ce qu'ils firent. » (p.237)

     

     

     

    « - Hier, quand je suis arrivé chez Solomon à l'improviste, il se baignait tout nu. Alors j'ai enlevé mes vêtements et j'ai sauté dans la piscine. J'ai pensé que ça pouvait être amusant.

     

    - Il faut croire que tu te trompais.

     

    - Ben, je croyais que ça ne le dérangerait pas. Tu sais bien que je ne suis pas pudique. Pendant toute la saison de water-polo, je porte des slips de bain moulants devant de parfaits inconnus.

     

    - Mais il est gay, Clark. Tu ne peux pas enlever tes vêtements devant un garçon qui craque pour les garçons !

     

    Tu es qui, toi, pour me faire la morale ? Ma grand-mère ? Sol est gay, c'est un fait, mais ça ne veut pas dire qu'il fantasme sur tous les mecs ! » (p.240-241)

     

     

     

    (Phobie douce de John Corey WHALEY)

     

     

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  • planche extraite du Grand Memento encyclopédique Larousse en 2 volumes (1936)

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  •  

    « - Ben m'a demandé de vous lire une lettre... sa dernière lettre.

     

    Une onde de choc silencieuse traversa l'auditoire. Personne n'était au courant de cette lettre d'adieu.

     

    - C'est, c'est... une sorte de poème, bafouilla Coppola,... nous savons tous à quel point Ben aimait les rimes...

     

     

     

    Au moins dans une guerre

     

    Il y a un ennemi

     

    Pour justifier devant une mère

     

    La perte d'une vie

     

     

     

    Mort de moi

     

    Et par peur de l'autre

     

    Qui dans mon malheur se vautre

     

    Sans foi ni loi

     

     

     

    Si différent de mes semblables

     

    Innocents ou coupables

     

    Ils donnent la vie ou la prennent

     

    Moi je sors de l'arène

     

     

     

    Il paraît qu'au moment de trépasser

     

    Le mourant voit sa vie défiler

     

    Dans mon cas, cela avait autant d'intérêt

     

    Que regarder de l'herbe pousser

     

    Voici toutefois un ou deux extraits

     

    Qui ne manqueront pas de vous intéresser

     

    Lettre d'adieu

     

     

     

    A ce moment, Coppola regarda en l'air, non sans une certaine hésitation. Quelqu'un appuya sur un vidéoprojecteur. Un faisceau lumineux pourfendit la salle comme le canon laser dans Lethal Assault et s'immobilisa face à l'écran qui se trouvait au-dessus du calice contenant les cendres. La mise en scène était parfaite. Tout se passait exactement comme prévu. Parmi les personnes présentes, il y eut un moment de doute auquel les images mirent rapidement fin.

     

    L'assemblée aperçut une salle de classe sur l'écran : c'était la classe de Ben. Deux garçons tiraient sur le pantalon de celui-ci tandis que tout le monde rigolait. La caméra fit alors un gros plan sur Ben. On pouvait lire la peur dans ses yeux. L'humiliation sur ses lèvres.

     

    (…)

     

    Coppola contemplait son œuvre avec satisfaction. C'était sans nul doute la première fois qu'un de ses films touchait un public aussi large. Vu les circonstances, il trouvait que ce n'était pas si mal filmé que ça. Même le son était de qualité acceptable. On entendait tout :

     

    «  - Dis, c'est vrai que les Martiens ont deux zobs ?

     

    - You want fuckie, fuckie, le Martien ? Ou you want suckie suckie ? »

     

    Les deux principaux intéressés se retrouvèrent tout à coup confrontés à leur image. Ils devinrent livides sous le feu des regards qui se tournèrent un à un dans leur direction. C'était comme une avalanche de reproches.

     

    Coppola se souvenait parfaitement de la scène. Il avait épargné à son drôle de camarade l'image avec le pantalon baissé. Dès que c'était devenu embarrassant, Coppola avait tourné sa caméra vers les spectateurs. Eux qui riaient. Eux qui chahutaient. Eux qui détournaient le regard parce qu'ils étaient gênés. Eux qui auraient voulu mettre fin à ce terrible spectacle mais qui ne disaient rien, ne faisaient rien. Eux qui étaient maintenant frappés par la main de Dieu.

     

    (…)

     

    Les dernières images défilèrent au ralenti et en boucle. Coppola brisa le silence :

     

    - C'est la dernière chose que Ben a écrite :

     

     

     

    Si jamais je ne parle

     

    Aujourd'hui mon silence hurle

     

     

     

    Tendez l'oreille

     

    Et entendez

     

    Ma blessure se réveille

     

    Écoutez :

     

     

     

    Nul besoin de pleurer pour souffrir

     

    Ni de parler pour avoir quelque chose à dire. » (p.104-107)

     

     

     

    (BenX de Nic BALTHAZAR)

     

     

     

     

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  • planche extraite du Larousse 3 volumes en couleurs (1966)

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    «  Au regard des normes communément admises, Solomon était un garçon très bizarre, et cette bizarrerie ne tenait pas qu'à son agoraphobie. Il refusait par exemple d'avaler tout aliment de couleur verte, et la simple vue d'une noix de coco le faisait hoqueter de dégoût. Les cheveux en bataille, il passait ses journées à demi dévêtu, exposant son ventre barré d'une ligne rouge à hauteur du nombril, à l'endroit où il calait son ordinateur portable pour faire ses devoirs ou regarder des films en streaming. Plus étrange encore, alors qu'il se montrait totalement inapte à la pratique des jeux vidéo, il pouvait regarder son père jouer à la console pendant des heures, comme s'il s'agissait d'un spectacle passionnant.

     

    En outre, il exprimait fréquemment ses pensées à haute voix, si bien que ses parents avaient pris l'habitude de l'entendre prononcer plusieurs fois par jour des fragments de phrases parfaitement incompréhensibles. » (p.35)

     

     

    Un garçon très bizarre

     

     

    «  Il se sentait extrêmement proche de Data, cet être artificiel qui, vivant en marge de la société, débitait des réflexions frappées au coin du bon sens sur la condition humaine. Avant même de se couper du monde extérieur, il en avait fait son mentor et son héros.

     

    Au milieu du huitième épisode, Solomon trouva la réponse à la question du jour. Confronté à la mort d'un membre de l'équipage de l'USS Entreprise lors d'une collision avec un autre vaisseau, le lieutenant-commandant Data y évoquait la bienveillance avec laquelle le disparu l'avait toujours considéré, l'acceptant tel qu'il était malgré sa nature particulière. C'était là, selon lui, la véritable amitié.

     

    Et c'est précisément ce qu'offrait Lisa à Solomon. Elle était prête à le considérer comme un individu normal, sans considération pour son mode de vie quelque peu particulier. » (p.54)

     

     

     

    « je n'oublierai jamais le jour où Solomon a plongé en caleçon dans la fontaine. Les autres élèves riaient et échangeaient des plaisanteries, même lorsque le principal l'a repêché et l'a enveloppé dans sa veste de costume pour le protéger du froid. Ils ont continué à se moquer de lui et à le montrer du doigt lorsqu'il est passé devant eux, humilié et trempé jusqu'à l'os. Le jour même, des rumeurs absurdes se sont mises à circuler dans le collège, mais dès la semaine suivante, c'était comme s'il n'avait jamais existé. Et c'est ce qui m'a rendue le plus triste. Personne n'a plus jamais parlé de lui, comme si nous vivions désormais dans un monde, et lui dans un autre. Et c'est ainsi que Solomon Reed a disparu, invisible, dans l'indifférence générale.

     

    Je crois que nous faisons tous ça, de temps à autre. Nous laissons certaines personnes disparaître parce qu’elles sont différentes et soulèvent des questions auxquelles nous ne trouvons pas de réponse. Si nous nous taisons et détournons le regard, nous pouvons prétendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais c'est un leurre. Tout n'ira pas bien tant que des individus comme Solomon seront condamnés à demeurer cloîtrés entre quatre murs. Nous devons apprendre à partager notre univers avec eux.» (p.301)

     

     

     

    (Phobie douce de John Corey WHALEY)

     

     

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  • planche extraite du Nouveau Petit Larousse illustré (1938)

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    « - Bon, tu vas tout me raconter. Qu'est-ce qui s'est passé, Clémentine ?

     

    Je ne réponds pas, je demande :

     

    - C'est quoi, un exhibitionniste ?

     

    Je perçois un petit cri étranglé au fond de sa gorge.

     

    Elle inspire profondément avant de parler :

     

    - C'est une personne qui a un comportement un peu bizarre. Il y a des hommes qui... comment dire ça simplement... qui montrent leur... qui montrent leur zizi aux passants, dans la rue ou dans les bois. En fait, ils le montrent à n'importe qui, n'importe où. Ils sont malades dans leur tête. Heureusement, le plus souvent, ils s'arrêtent là. Ils ne font rien de plus. Tu comprends ? Ça t'est arrivé ? C'était quand ? Pourquoi tu n'as rien dit, pourquoi tu n'en as pas parlé tout de suite ?

     

    J'ai envie de crier : « Pourquoi vous n'avez rien remarqué ? », mais je fais signe de la tête pour lui faire comprendre qu'elle a deviné.

     

    Elle me demande encore : « Il t'a touchée ? Il t'a fait mal ? »

     

    Cette fois-ci, je fais non de la tête. Mais le non, c'est seulement pour la première question. Même s'il n'a pas posé ses grosses mains dégueulasses sur moi, je n'avais pas envie de voir ce qu'il m'a montré. C'est ça qu'il m'a fait : il m'a forcée à voir.

     

    (…)

     

    Il m'a forcée à voir

     

    Je redresse la tête, je la regarde dans les yeux, j'inspire profondément et je lui crie au visage, même si elle se tient à quelques centimètres de moi :

     

    - Comment tu peux dire que c'est pas grave, que c'est fini ! Tu ne peux pas dire ça, maman. J'ai eu mal tellement j'ai eu peur !

     

    Je hurle, j'ai presque envie de la secouer pour qu'elle comprenne. Je ne peux plus m'arrêter de parler. Je lui raconte encore, je lui donne d'autres détails, son retard lundi dernier à la sortie du collège, tous ces lundis où je dois rentrer seule depuis qu’Émilie a déménagé, et l'année prochaine où je serai seule dans la rue tous les soirs. Et cette peur qui grossit, qui enfle, qui m'étouffe, qui m'empêche de vivre comme avant. Des larmes énormes continuent à envahir mes joues et ça me pique sous les yeux. Plus les mots sortent, plus je les crache, je les vomis de plus en plus fort : « Ce n'est pas fini, tu ne peux pas dire ça ! Jamais ! Tu ne sais pas ce que j'ai vécu. J'ai eu peur pendant des heures, des jours, des semaines entières. Personne ne m'a aidée. Et aujourd'hui, j'ai toujours aussi peur. Ça continue. Tu as bien vu, tout à l'heure dans les bois, j'ai même peur quand je suis avec toi. » Je me tais quelques secondes, puis je rajoute en hurlant : « Rien n'est fini. Tu es nulle, tu n'as rien compris ! » (p.67-71)

     

     

     

    (La camionnette blanche de Sophie KNAPP)

     

     

     

     

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  • planche extraite de l'Encyclopédie internationale Focus en 5 volumes (Bordas - 1968)

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