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Question de genre
«Pendant que je reboutonnais le babygros de Tyler, je me suis brusquement rendu compte que ces gamins étaient sacrément ordinaires. « Ils se conforment aux stéréotypes de leur sexe », dirait Liam. Pardon ? En tout cas je savais qu'on ne prendrait jamais Mirelle pour un garçon, ni Cody pour une fille. Tyler était encore un bébé, alors il ne comptait pas. Si on lui mettait des habits à volants, les gens diraient sans doute : « Quelle jolie petite fille ! » en roucoulant au-dessus de lui.
« Jolie .» Un mot pour les filles. Comme on emploie « beau » pour parler des garçons. Liam avait raison : les gens ne parlent pas des garçons et des filles de la même façon. Ils attendent un comportement différent selon le sexe. Et quand les enfants ont une attitude « hors rôle », comme disait Liam, ils reçoivent l'étiquette de « garçon manqué » ou de « chochotte ».
Il y a des lignes qu'on ne franchit pas, en matière de vêtements, de comportement, d'attitude. Par exemple, si je portais du rouge à lèvres et de la dentelle au lycée, personne ne le remarquerait. Pourtant, ils devraient, parce que je n'ai jamais mis ni l'un ni l'autre. Je ne suis pas très féminine. Les gens acceptent qu'on soit plus ou moins féminine tant qu'on reste du bon côté de cette échelle graduée, ce spectre qui va de « très masculin » à « très féminin » : princesse un jour, souillon le lendemain. Pareil pour les garçons.
Jusqu'à un certain point.
La limite autorisée n'est pas aussi éloignée dans un sens que dans l'autre, sur le spectre. Par exemple, quand on est une fille, on peut être exagérément féminine, ça ne pose pas de problème, mais si on a un comportement ou des sentiments un peu trop masculins, on est une gouine.
Pareil pour les garçons. MUCHO macho, pas de problème. Doux et tendre égale tapette.
Que se passe-t-il quand on est né hors du spectre, entre les deux pôles, comme Liam ? On est un monstre, voilà tout.
Voilà ce que ressentait Liam, je le sais. Un jour, il m'a dit qu'il n'y avait pas de place pour lui sur cette Terre, qu'il ne pouvait s'intégrer nulle part. Il était vraiment hors du spectre. Garçon le jour, fille la nuit. Sauf qu'il était tout le temps une fille au fond de lui. C'était gravé dans son cerveau, disait-il, comme l'intelligence ou la mémoire. Son corps ne reflétait pas son image intérieure. Son corps le trahissait. A cause de la façon dont les gens voyaient Liam – comme un garçon -, il devait se conformer à ce qu'ils attendaient de lui. Se déguiser pour ressembler à son personnage. Jouer ce rôle. Et Liam était doué pour ça, un expert. Il avait eu tant d'années d'entraînement. Ç'avait dû être horrible, cela dit, jour après jour après jour, de voir partout autour de lui ce qu'il voulait être, si désespérément, et ne pourrait jamais être. » (p.81-83)
« Alors quand ? Ça commence quand ? A un moment donné, la société exige qu'on soit comme ci et pas comme ça, et on sait ce qu'elle attend de nous. Comment le sait-on ? Est-ce, genre, une tendance naturelle, innée ? Sommes-nous programmés comme ça ? Peut-être qu'on apprend à observer ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Qu'on essaie de s'adapter. Qu'on veut s'intégrer. Qu'on ne peut pas. Est-ce que nos parents nous l'apprennent, font de nous des être conformes ? » (p.83)
« Tout est possible. C'est pas noir ou blanc. Entre le genre masculin et le genre féminin, il y a diverses teintes de gris. » (p.110)
(La face cachée de Luna de Julie Anne PETERS)
Tags : genre, identité sexuelle, harcèlement, apparence, stéréotype, préjugés
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