• Quand la situation a-t-elle dérapé ?

     «Pourquoi les grâces et les disgrâces sont-elles si mal réparties ? Pourquoi certaines personnes semblent-elles collectionner les dons, et d'autres, rien ? Peut-être que les qualités et les défauts sont distribués en fonction de ce que chaque personne est capable d'endurer et qu'il faut voir les handicaps comme des défis à relever.

    Mais quand bien même, qui décide ? Et comment ? » (p.34)

     

    «  Est-ce que la personnalité de quelqu'un change avec son apparence, ou seulement le regard que les autres lui portent? A l'intérieur, le papillon se considère-t-il toujours comme une chenille?

    Quelle Mathilde serais-je si j'étais papillon?

    Aurais-je plus confiance en moi?

    Oserais-je faire des choses que je ne m'autorise pas aujourd’hui? Ou les ferais-je justement parce qu'on me donnerait enfin la possibilité de les faire ? » (p.35)

     

    « -De toute façon, c'est génétique, le thigh gap. Tu peux être maigre comme un clou et avoir malgré tout les cuisses qui se touchent. C'est une question de morphologie.

    Je hausse les épaules, tandis qu'elle enchaîne :

    - Et puis quand bien même tu finirais pas l'avoir, ton foutu thigh gap, ce serait quoi, après ? Le bikini bridge [espace qui se creuse entre le ventre et les os de la hanche, en position allongée] ? Quand la mode sera de se faire greffer une crête de dindon sur le crâne, tu le feras ? C'est sans fin, ton truc ! » (p.123-124)

    « - Je me fiche du nom que cela peut bien porter, Mathilde ! Tu as fait une crise d'hypoglycémie, pas une crise de stress !

    J'ai secoué la tête avec empressement, en souriant presque, trop heureuse de pouvoir lui montrer son erreur :

    - Ah non, impossible. Je venais de manger une barre énergétique.

    Ma mère a répondu du tac au tac :

    - Je sais, c'est justement ce qui a provoqué la crise. Lorsqu'on est en sous-alimentation chronique, le corps supporte mal l'arrivée brutale de sucre.

    Ma bouche s'est ouverte de surprise. Ma mère a repris :

    - Moi, ce que je pense, c'est que tu fais...de l'anorexie mentale, Mathilde. » (p.162-163)

    Quand la situation a-t-elle dérapé ?

    « Ma méthode n'est pas la bonne. Aucun régime n'est censé faire s'évanouir celui qui le suit. Ni rater les cours ou perdre ses amis. Il faut que je sois un peu moins exigeante avec moi-même. Je veux être mince, mais en bonne santé. Je veux pouvoir courir sans manquer de m'évanouir. » (p.171)

     

    « La tartine est devant moi, rouge dans l'assiette blanche, comme de la viande crue, un morceau d'animal mort. Je la fixe avec une angoisse subite.

    Je sens mon ventre se nouer, les larmes monter.

    Je pleure.

    J'ai envie de la manger mais, en même temps, je m'en sens incapable. Cette confiture qui tremblote. Cette mie compacte . Je ne peux pas. Ma volonté ne suffit pas. Maintenant, c'est mon corps qui résiste.

    Je pleure de plus belle. Je regarde de nouveau la tartine. Ce morceau de pain me terrorise. Je ne peux pas le mettre dans ma bouche, le sentir glisser dans mon tube digestif. C'est impossible.

    J'ai peur. Que m'arrive-t-il ? Je n'ai jamais voulu ça. Pourquoi je réagis de la sorte ? J'ai l'impression que mon corps est contrôlé par quelqu'un que je ne connais pas. C'est une sensation affreuse. Je pleure de plus belle ; la panique et l'incompréhension me gagnent. Est-ce que je suis vraiment malade ? Quand la situation a-t-elle dérapé ? Quand est-ce que le contrôle m'a échappé ? 

    Je n'ai rien vu venir.» (p.176)

     

     

    « Je ne suis pas encore guérie, mais j'ai arrêté de maigrir, car j'ai moins peur de l'avenir. Je me sens plus en paix, les choses semblent plus claires dans ma tête, je me sens mieux avec mes parents. Je sais que la partie n'est pas gagnée, mais j'ai compris que l'étape ultime, dans l'anorexie, c'est la mort.

    Ou une vie totalement dépendante des calories, de l'image dans le miroir qui, dans tous les cas, ne sera jamais celle que l'on voudrait voir. Une vie sans couleur ni saveur, renfermée sur elle-même, inutile. Une coquille vide. » (p.192)

     

    (Le complexe du papillon de Annelise HEURTIER)

     

    « La singularitéC'est à moi de décider »
    Partager via GmailGoogle Bookmarks Blogmarks

    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :