• Personne ne voyait ce qui se passait

     

    « C'est en CM2 qu'ils ont commencé à m'embêter. Ils me « traitaient » du matin au soir. Au début, c'étaient des moqueries, sur mon nom de famille, Destin. Ils trouvaient toujours des mots qui allaient avec. Ils disaient : « C'est ton destin. » C'est ton destin d'être nul... ton destin d'être gros. A force de l'entendre, ça me faisait mal. T'es un con... T'es gros... J'étais assez enrobé. A onze ans, je devais faire dans les soixante-dix kilos. On m'embêtait surtout dans la piscine. Dès qu'ils me voyaient nager, ils balançaient des insultes sur mon compte. Évidemment, mes bourrelets, ils se voyaient bien dans l'eau. Je mangeais très mal cette année-là, parce que je grignotais entre les repas, beaucoup, j'avais toujours faim. Je pense que c'était une compensation. Plus les autres me traitaient de gros, plus je mangeais. La nourriture me réconfortait un peu, surtout le sucré comme les tartines de Nutella ou les biscuits. Ma mère me disait bien de faire attention. Mais moi, plus j'entendais les moqueries, plus j'entendais les insultes - « T'es gros... Gros porc... » - et plus je mangeais. Les garçons et les filles m'embêtaient comme ça tout le temps. C'était plus dur encore quand c'étaient les filles. Je ne disais rien, je ne répondais rien, je me taisais, j'avais peur d'eux. Le matin, je n'osais pas aller à l'école. Mes parents voyaient bien, quand j'avais des contrôles, que ça n'allait pas au niveau de mes notes. Je pense qu'ils savaient que je me faisais embêter. Une fois, ma mère a eu des doutes. Elle m'a suivi sur le chemin de l'école. Elle était loin derrière moi. A un moment, elle a vu des jeunes qui se mettaient à me jeter des cailloux. Ils étaient cachés derrière des voitures. Elle les a reconnus. Ils venaient d'une autre école. Je suis arrivé en classe en pleurant. Ma mère, elle, est allée voir le directeur de cette école et lui a désigné les fautifs :

     

    - Ces trois jeunes-là ont jeté des cailloux à mon fils.

     

    Le directeur les a tout de suite punis et ils n'ont pas recommencé. Mais les autres, ceux de mon école, eux, ont continué. Ils me bousculaient tout le temps. C'étaient des insultes sans arrêt. Un groupe de quatre garçons s'en prenait toujours à moi. Parmi eux, il y en avait un qui, au début, était plutôt gentil avec moi. Du moins, c'était ce que je pensais. On avait le même âge. Et puis un jour, il a commencé à me frapper, parce qu'il m'avait « traité » et que je lui avais répondu. Il s'est mis à me cogner. Et tous ses copains sont venus le rejoindre et ils m'ont tapé tous en même temps. Ils me frappaient sur la tête, dans les jambes, avec leurs mains, leurs pieds. Ils avaient dit du mal sur ma mère :

     

    - Ta mère, c'est une grosse comme toi !

     

    Je n'ai pas supporté ça. Sur moi, je pouvais encore supporter et me taire, mais pas sur elle. J'ai répondu :

     

    - Non, c'est pas vrai, ma mère est pas grosse. De toute façon, vous ne la connaissez pas !

     

    Et ils m'ont frappé juste parce que j'avais répondu. J'ai eu des bleus partout sur les jambes tellement j'avais reçu de coups de pied. Ils étaient quatre, ils s'amusaient. J'ai pleuré. Je suis même parti en courant voir mon professeur principal. Il m'a dit :

     

    - C'est pas grave, ils ne font que s'amuser avec toi.

    Personne ne voyait ce qui se passait

     

    Il ne les avait pas vus me frapper. Il pensait qu'on jouait ensemble. Il s'en fichait. Après, je les évitais, ces garçons. A la récré, je demandais si je pouvais rester dans la classe pour réviser. Je ne voulais pas sortir. J'essayais de les éviter pour tout. Au début, j'allais à la cantine de temps en temps, quand je ne pouvais pas retourner à midi chez moi, mais je n'aimais pas du tout. On me jetait de l'eau. Ils se foutaient de moi parce que je mangeais trop. Ils me mettaient des coups de pied sous la table, ils rigolaient et me tapaient parce que j'étais gros. Ils me regardaient manger en se moquant de moi. Ils me faisaient des grimaces. Du coup, je n'osais pas toucher à mon assiette. J'essayais d'aller à une autre table, mais la plupart du temps ils me rejoignaient. Il n'y avait pas de surveillants, seulement les cuisiniers et les professeurs. Personne ne voyait ce qui se passait parce qu'ils me donnaient des coups de pied sous la table. Je n'allais pas me plaindre au professeur, j'avais peur de lui, et de ce qu'il m'avait répondu le premier jour. « Ils s'amusent avec toi. » S'il préférait les croire, et ne pas voir, alors j'étais seul. Complètement seul. » (p.25-28)

     

     

     

    (Condamné à me tuer de Jonathan DESTIN)

     

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