• Nomade ou sédentaire

    « C'est depuis la famine, depuis que les troupeaux sont décimés et qu'on se bat à mort pour une poignée de mil, qu'Okoboé s'est trouvé en danger. Un soir, il est venu comme à son habitude s'asseoir avec les hommes mais personne ne lui a adressé la parole. Cela l'a alerté. Depuis un bout de temps déjà, ce renard de Songa, qui passe son temps à consulter les esprits, le regardait d'un air trop doucereux et Okoboé s'est retrouvé peu à peu au centre des regards.

     

    Adouna a saisi les coups d'oeil obliques sur son homme, elle les a repérés quand ils ont dévié sournoisement sur elle et sur son enfant. Alors elle a su qu'un grand oiseau noir planait au-dessus d'eux. Et les nuits l'ont trouvée sans sommeil. Elle pensait, les yeux grands ouverts, à l'oiseau de la haine qui planait, planait sans se lasser, toujours en éveil. Elle n'osait plus fermer les yeux : l'oiseau noir n'attendait que cela, qu'ils oublient et ferment les paupières.

     

    Adouna n'avait même pas envie de pleurer. Elle se rappelait seulement, comme d'un instant d'intense clarté, le jour où son père l'avait conduite jusqu'à la maison de son fiancé :

     

    - Je te donne ma fille, Okoboé. Prends-en soin, comme un homme doit prendre soin de sa femme. Que notre famille remplace celle que tu as quittée.

     

    Tout le monde avait entendu ces paroles et personne n'avait protesté. On avait dansé trois jours pour fêter comme il convenait le mariage d'Adouna, fille dernière de Zarza, avec Okoboé, l'homme bleu.

     

    Le Touareg était devenu un homme du peuple zarma. Il avait pris ses repas avec la famille, il s'était occupé des ânes, des ovins et des quelques vaches que ces familles d'agriculteurs entretenaient sans conviction. Il avait construit des murs de pisé, réparé les toits, creusé des rigoles d'irrigation. Jamaius durant ces années de bonheur, personne n'avait été le témoin du moindre conflit entre Zarza, ou quiconque au village, et Okoboé. Il avait la peau claire, cela faisait rire les hommes quand ils voulaient le plaisanter puisqu'ils ne trouvaient rien à lui reprocher. Okoboé avait l'âme droite et l'estime de Zarza, son beau-père, dont la parole comptait dans le village. 

     

    Sans doute Adouna n'aurait-elle jamais pris la décision de partir si son père avait été encore là.» (p.8-9)

     

     

    « Merveilleuse Adouna ! Elle avait le cœur aussi large que celui de son père. Okoboé lui savait gré d'avoir pris d'elle-même la décision qu'il n'osait pas lui proposer : partir vers le Nord, retourner au pays touareg en espérant que le destin y serait plus favorable. Elle n'avait pas hésité, elle avait laissé sa tribu derrière elle, chassant sans doute l'espoir de revoir un jour les siens. « Des oiseaux qui émigrent, aimait à dire Zarza, aucun ne sait se réhabituer à son ancien nid. » Elle allait être une étrangère, sentir le regard défiant d'une autre famille. Saurait-elle l'apprivoiser ? (p.12)

     

     

     

    « Adouna se savait moins faite pour la route que son homme. Elle n'avait aucun attrait pour les transhumances ni pour les caravanes. Comme il avait fallu que son nomade s'attache à elle pour demeurer de longues années auprès de Zarza et des siens, dans un village d'agriculteurs ! C'était pour elle, encore aujourd'hui, source d'émerveillement. Okoboé ne connaissait depuis sa tendre enfance que la carte des puits, le tracé des oueds et le nom des montagnes. Il concevait la vie comme une longue piste à parcourir. Elle voyait l'existence, au contraire, comme une ferme entourée de champs cultivés, un immense damier de verdure inscrit dans la boucle d'un fleuve et qu'on peut contempler à loisir, saison après saison, du sommet des collines. » (p.80)

     

     

     

    (Issa, enfant des sables de Pierre-Marie BEAUDE)

    « TurbinesCatastrophes naturelles »
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