•  

    Gulliverte

     

     

     

    « Vint une belle gaillarde

     

    Épaulée comme un camion

     

    Les yeux comme des mansardes

     

    Et puis les cheveux si longs

     

    Qu'on aurait dit l'autoroute

     

    Qui va de Marseille à Aix

     

    Elle mettait en déroute

     

    Tous les donneurs de complexes

     

     

     

    Elle dit "Je suis Gulliverte

     

    Et je me sens bien

     

    Vous me trouvez grande, certes,

     

    Je n'en disconviens

     

    Mais vraiment, mes petits hommes,

     

    Vous êtes charmants

     

    Vous me regardez en somme

     

    Comme un monument

     

    Grande, grande, je suis grande

     

    Je m' demande

     

    À quoi servent ces échelles,

     

    Ces escabelles"

     

     

     

    Par amour ou par bravade

     

    On en vit une flopée

     

    Entreprendre l'escalade

     

    De la belle démesurée

     

    Mais ils se perdaient en route

     

    Ou bien ils dégringolaient

     

    Ne pouvant la saisir toute

     

    La plupart abandonnaient

     

     

     

    Elle dit "Je suis Gulliverte

     

    Et vous m'épatez

     

    Je ne me suis pas offerte

     

    À vos privautés

     

    Car enfin, mes petits hommes,

     

    Si je vous fais peur,

     

    Vous semblez ignorer comme,

     

    Comment bat mon cœur

     

    Grande, grande, je suis grande

     

    Je m' demande

     

    Comment vous faire comprendre

     

    Que je suis tendre"

     

     

    Trop grande...

     

     

     

    Ils lui dirent "Tu es moche !

     

    Mais pour qui donc te prends-tu ?

     

    Tu n'as rien dans la caboche

     

    Et puis tu es mal foutue

     

    Non vraiment, pour rien au monde

     

    Nous ne voudrions de toi

     

    Tu es vraiment trop immonde

     

    Tu ne nous inspires pas"

     

    Alors on vit Gulliverte

     

    Se ratatiner

     

     

     

    "C'est une trop grande perte

     

    Je veux être aimée

     

    Prenez-moi, mes petits hommes,

     

    Je raccourcirai

     

    Je serai comme trois pommes

     

    Si cela vous plaît

     

    Grande, grande, je suis grande

     

    Je m' demande

     

    Quoi faire pour qu'on me désire

     

    Et même pire"

     

     

     

    Quand elle fut assez petite

     

    On voulut bien l'épouser

     

    On l'engrossa au plus vite

     

    Pour l'empêcher de bouger

     

    Elle fut, sans crier grâce,

     

    Une admirable maman

     

    Sans un rêve qui dépasse,

     

    Trompée raisonnablement

     

    Et puis on vit Gulliverte

     

    Se mettre à changer

     

    Et par la fenêtre ouverte

     

    On l'entendit chanter

     

     

     

    Elle dit "Mes petits hommes

     

    Je me sens grandir

     

    Et je me retrouve comme

     

    Dans mes souvenirs

     

    Grande, grande, j'étais grande

     

    Je m' demande

     

    Ce qui a pu me contraindre

     

    À tant vous craindre"

     

     

     

    Elle se mit sans scrupules

     

    À s'allonger à vue d'œil

     

    Ses soupirants minuscules

     

    Durent en faire leur deuil

     

    Malgré leurs échafaudages

     

    Leurs gradins, leurs ascenseurs,

     

    Leurs chansons et leurs chantages

     

    Elle reprit sa hauteur

     

     

     

    Elle dit "Je suis Gulliverte

     

    Et je me sens bien

     

    Vous me trouvez grande, certes,

     

    Je n'en disconviens

     

    Maintenant, mes petits hommes,

     

    À vous de grandir

     

    Comptez plus que je me gomme

     

    Pour pas vous ternir

     

    Grande, grande, je suis grande

     

    Je m' demande

     

    Si c' n'est pas par votre faute

     

    Que je suis haute

     

     

     

    Grande, grande, je suis grande

     

    Je m' demande

     

    {x2:}

     

    Comment vous faire comprendre

     

    Que je suis tendre"

     

     

     

    Anne SYLVESTRE – Tant de choses à vous dire (1986)

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  •  

    « Non, c'est moi, aussi.

     

    Il faut quand même être lucide. Je n'étais pas le genre de fille sur laquelle on se retournait. Et je ne faisais rien pour. Je préférais les habits amples, les sweat-shirts informes, les mecs devaient penser que je passais mon week-end affalée devant la télévision. C'était souvent pour eux une bonne surprise, quand je me déshabillais. Ils remarquaient que j'avais un corps.

     

    Au milieu de la basse-cour

     

    Ajoutez la timidité.

     

    Non, ce n'est pas ça. Je ne me suis jamais considérée comme timide. Simplement, je n'avais pas envie de batailler pendant des heures pour imposer mes goûts ou mes points de vue, pour défendre tel film, tel groupe, tel homme politique. Quelle vanité. Je les regardais tous, petits coqs sur leurs ergots, en train de bomber le torse et de parler fort. Et parfois, au milieu de la basse-cour, des poules gloussaient en picorant autour des coqs, des paonnes étalaient leur plumage parce que leur ramage était détestable – et aussi des oies cendrées. Ces pasionarias prenaient à cœur tous les sujets et montaient dans les octaves pour tenir tête aux rois de la ferme, autre manière de se faire remarquer et de séduire. » (p.91-92)

     

     

     

    (06h41 de Jean-Philippe BLONDEL)

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  • «Ta maladie est un Golem qui, quoi qu'on fasse, avancera et détruira tout sur son passage.

     

    Le programme qui t'attend est aussi irréversible qu'atroce : tu vas perdre peu à peu la mémoire, oublier les mots les gestes les visages.

     

    Ton mal porte un nom barbare : Alzheimer. C'est le nom du psychiatre allemand, Aloïs Alzheimer, qui, le 26 novembre 1901, à l'asile de Francfort, a examiné une femme qui ne connaissait pas encore l'usage du Post-it mais présentait les mêmes bizarreries que toi.

     

    Une maladie de vieux, dit le Net.

     

    Toi, tu as seulement quarante-neuf ans. » (p.47)

     

    Aussi irréversible qu'atroce

     

    « C'est quoi ce bordel, ce désordre, ce foutoir, où les mères retombent en enfance alors que leurs enfants en sont à peine sortis ?

     

    Je te hais.

     

    Je hais le monde entier.

     

    Comment as-tu pu devenir une menace, toi qui étais le rempart, l'abri. » (p.63)

     

     

     

    «Maintenant tu prends des tas de médicaments. Ils font taire en toi la mauvaise la brutale sorcière. Ils laissent vivre l'enfant douce et inoffensive. »  (p.78)

     

     

     

    (Arrête de mourir d'Irène COHEN-JANCA)

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  • «J'ai essayé de détourner la conversation. Je sentais qu'elle prenait un tour qui allait m'être désagréable.

     

    - C'est parce que je me suis beaucoup occupé de sa mère.

     

    - Ou que sa mère s'est occupée de vous. Enfin, d'après ce qu'il dit.

     

    - Les relations humaines sont parfois à double sens.

     

    - Pendant un temps, vous avez été un objet de raillerie ici. Tous ces gens que vous voyez là, ils se tapaient sur les cuisses en entendant les histoires de Philippe qui fait des tartes aux pommes avec la mère de son copain.

     

    (…)

     

    - ça a changé progressivement. Vous êtes devenu une... comment dire ça, oui, une caution. Vous lui servez de caution. » (p.64-65)

     

     

    La mue

     

    «Je retrouve la peau de mes vingt ans. Comme si ma mue m'attendait, tapie au coin de ma ville natale ou dans le train. Comme si elle veillait et qu'elle attendait que je baisse la garde, pour attaquer encore. Je me rappelle Lucile qui travaillait pour moi il y a quelques années. C'était une grande fille mince et séduisante. Un jour, elle m'a montré ses photos d'adolescence. Quand on l'appelait la boulette ou le cochonnet. Elle serrait les dents tandis que j'observais la masse informe de chair sur les clichés, et que je tentais d'y retrouver les traits de ce qu'elle allait devenir. Elle a murmuré qu'ils étaient toujours là, la boulette, le cochonnet. Elle les combattait quotidiennement, pourtant il suffisait qu'elle n'y prenne pas garde, qu'elle soit bousculée dans le métro, qu'elle mette un peu trop de temps à sortir sa carte de crédit de son portefeuille, et la boulette, le cochonnet fondaient sur elle de nouveau. Empotée. Grasse. Laide. Bonne à rien. » (p.72-73)

     

     

     

    (06h41 de Jean-Philippe BLONDEL)

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  •  « Il ne parle pas beaucoup... il n'est pas drôle... il ne rit pas non plus aux gags de la télé... il n'est pas du genre à traîner en bande... il se fiche complètement de la mode vestimentaire...

     Mais lui... tout ça ne le dérange pas.

     

    Il gênait...

     

    A l'école, il n'y a que des mecs incapables de vivre sans penser à tout ça. Ne pas être différent des autres... toujours suivre la mode... et devant quelqu'un comme lui on se sent tout petit, minable.

     Peut-être qu'il gênait... » (p.86-87)

     

    (Real - Tome 1 de Takehiko INOUE)

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  • « Un soupir de résignation s'est échappé de mes lèvres. Ouais, je l'aimais. Je ne pouvais pas m'en empêcher. Cette fille, c'était mon frère. » (p.12)

     

    « Cette fascination de Liam pour le jeu du papa et de la maman avait-elle été la première indication, pour moi, du fait qu'il était différent ? Qu'il était transgenre ? Que dans sa tête et dans son cœur, il savait qu'il était une fille ? » (p.15)

     

    « C'est ce qu'il a toujours voulu. Si Liam pouvait faire un seul vœu dans ce bas monde, demander un seul cadeau d'anniversaire, ce serait de renaître. De renaître à l'endroit, dans le corps d'une fille. » (p.28)

     

    « Non, je ne le détestais pas. Il ne me détestait pas, lui non plus. Il était juste en colère contre sa vie, ce que je pouvais comprendre. Ça doit être horrible de ne pas être dans le bon corps, d'avoir cette identité dédoublée. Je savais qu'il souffrait. Je regrettais juste qu'il se venge sur moi. Ce n'était pas ma faute si j'avais reçu le corps qu'il voulait. » (p.29)

     

    « - Tous les jours, c'est la même chose. Je me cache, je mens, je la retiens à l'intérieur. C'est trop dur. Je n'y arrive pas. (…)

    Quand les gens me regardent, ils ne voient pas la vraie moi. Ils ne peuvent pas me voir, avec cette allure-là. (…)

    Personne ne connaîtra jamais celle que je suis au fond de moi. La vraie moi. La fille, la femme. Tout ce qu'ils voient, c'est ce... ce rien.

    - Tu n'es pas rien, ai-je rétorqué sèchement. Tu es une personne. Tu es Liam.

    - Liam ?

    Il a lâché un petit rire.

    - C'est qui ça ? Une caricature que j'ai créée. Une marionnette, des grimaces, un personnage de BD. Je suis une image calquée sur le fils viril et macho que Papa a dans la tête. (…)

    - J'ai besoin de la laisser sortir, Regan.

    - Qu'est-ce que tu veux dire ? Comment ?

    - Je l'étrangle. Ce n'est pas elle que je veux éliminer. La supprimer, la réprimer, la maintenir en cage, faire durer cette imposture, cette comédie... tout ça, je n'y arrive plus. (…)

    ça ne passe pas. J'ai beau le vouloir, et prier, elle est toujours avec moi. Elle EST moi. Je suis elle. Je veux être elle. Je veux être Luna.

    - Tu l'es. Tu peux l'être. » (p.36-37)

     

    «La vendeuse. L'instant où elle avait vu ce qu'était Luna, ce rejet physique qui l'avait poussée à s'éloigner, m'avait déchiré l'âme. Elle était carrément dégoûtée.

    Luna l'avait vu. Elle l'avait senti.

    Je ne supportais pas que mon frère soit considéré comme un monstre. Ça le faisait souffrir ; je le savais. Il ne méritait pas ça. Personne ne mérite ce genre de souffrance. S'il décidait de vivre le restant de sa vie dans la peau de la Fille lunaire, il pouvait me faire confiance, je garderais son secret. Je le protégerais, il pouvait me faire confiance. » (p.154)

     

    « Et si, une fois qu'il avait fait de son mieux pour se montrer dans la tenue de Luna – dans la PEAU de Luna, la fille qu'il visualisait dans sa tête – les gens ne voyaient qu'un garçon habillé en fille ?

    Quand Liam avait évoqué ce que lui coûterait sa transition, est-ce qu'il parlait de ça ? Parce que ça, c'était trop cher payé, je ne le supporterais pas. Ça lui coûtait son amour-propre, sa dignité, sa fierté. » (p.178)

     

    « Comme un papillon émergeant d'une chrysalide, ai-je pensé. Une créature exquise et délicate dépliant ses ailes avant de s'envoler. Sauf que dans le cas de Luna, le papillon est forcé de replier ses ailes et de se réinsérer dans le cocon tous les jours. Tous les jours sans exception, elle est contrainte de s'enfermer dans une coquille. » (p.192)

     

     

    Une face cachée

     

    « Luna pourrait-elle modifier suffisamment la chimie de son corps, son apparence physique, pour convaincre le monde entier qu'elle était la personne qu'elle se savait être ? » (p.194)

     

    « J'aurais peut-être pu faciliter les choses – atténuer le choc ou préparer Aly. J'aurais pu lâcher quelques allusions, lui donner le temps de digérer la nouvelle. Elle aurait pu être capable de...

    - De quoi ? Ai-je terminé tout haut. D'accepter le fait que le mec dont elle a été amoureuse toute sa vie est en fait une fille ? 

    Comment peut-on accepter ça ? » (p.298)

     

    « Liam et moi serions toujours mis dans le même sac, à présent. Luna et moi. Ils ne verraient plus que Regan-la-fille-qui-a-un-frère-transsexuel. Je ne pourrais jamais me séparer de lui. Jamais avoir ma propre identité.

    Pire encore : les gens penseraient que j'étais comme lui. Comme elle. Différente. Je ne voulais pas être différente. Je voulais être pareille. Je voulais être acceptée, aimée, appréciée pour celle que j'étais.

    Qui étais-je ? Je ne le savais même pas.

    Je connaissais Luna mieux que moi-même. Je savais ce qu'elle voulait : être acceptée, aimée. Exactement la même chose que moi. » (p.312)

     

    « C'est une question de vie ou de mort pour moi, Regan. Si je ne fais pas ma transition, je ne veux plus vivre. (…)

    Et j'ai compris. J'ai enfin compris. Le changement, c'est en moi qu'il devait se produire. Je devais accepter Luna, la soutenir dans sa transition, la reconnaître en tant que personne. » (p.317)

     

    « J'ai survécu. Je suis vivante. J'ai fait mes preuves aujourd'hui. Je veux vivre. Je peux. Tu as fait ça pour moi. Tu m'as forcé à tenir sur mes propres jambes. Tu m'as donné l'impulsion dont j'avais besoin ; tu m'as obligée à affronter ça toute seule, chose que j'aurai à faire au bout du compte. » (p.318)

     

    « Elle savait. (…) Elle avait toujours su.

    Pourquoi ne l'avait-elle pas aidé ? Pourquoi n'avait-elle pas été là pour lui. Pourquoi n'avait-elle pas admis sa différence ? Elle aurait pu lui rendre la vie tellement plus facile. Elle aurait pu l'élever comme une fille. Pourquoi ne l'avait-elle pas fait ?

    Papa, bien sûr.

    Lui ne savait pas. Elle aurait dû le dire à Papa. Toutes ces années, il avait torturé Liam avec le sport et encore le sport. Ses attentes si peu réalistes. Il avait donné à Lima l'impression d'être un raté, un mauvais fils.

    Ce qui avait donné à Papa l'impression d'être un mauvais père.

    Maman aurait pu donner à Papa le temps de s'y faire, d'accepter Liam tel qu'il était. » (p.339)

     

    (La face cachée de Luna de Julie Anne PETERS)

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  • « Il n'était ni bon, ni méchant, ni fourbe, ni cynique, ni autre ; il se bornait à choisir : c'est le pouvoir de faire avec un moment et avec soi, un ensemble qui plaise.

     

    Il avait sur tout le monde un avantage qu'il s'était donné : celui de posséder une idée commode de lui-même ; et, dans chacune de ses pensées entrait un autre Monsieur Teste, - un personnage bien connu, simplifié, uni au véritable par tous ses points... Il avait en somme substitué au vague soupçon du Moi qui altère tous nos propres calculs et nous met sournoisement en jeu nous-mêmes dans nos spéculations, - qui en sont pipées, - un être imaginaire défini, un Soi-Même bien déterminé, ou éduqué, sûr comme un instrument, sensible comme un animal, et compatible avec toute chose, comme l'homme.

     

    Un individu durable

     

    Ainsi Teste, armé de sa propre image, connaissait à chaque instant sa faiblesse et ses forces. Le monde se composait, devant lui, d'abord de tout ce qu'il savait et de ce qui était à lui – et cela ne comptait plus ; puis, dans un autre soi, du reste ; et ce reste pouvait ou ne pouvait pas être acquis, construit, transformé. Et il ne perdait son temps ni dans l'impossible ni dans le facile. » (p.106-107)

     

     

     

    (Monsieur Teste de Paul VALERY)

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  •  

    « Ce serait horrible d'avoir un cancer.

     

    Ce serait horrible d'être attaché

     

    à une machine une fois par semaine

     

    qui me pomperait du poison dans les veines

     

    dans l'espoir de me sauver la vie.

     

     

     

    Notre oncle Calvin est mort d'une maladie du coeur à trente-neuf ans

     

    laissant derrière lui trois fils et une femme enceinte.

     

     

     

    La soeur de Grammie s'est noyée dans un tonneau

     

    de pêches pourries et d'eau stagnante

     

    quand elles vivaient à la ferme

     

    étant enfants.

     

     

     

    Les actualités sont pleines d'histoires

     

    d'enfants battus et de famine et de génocide et de sécheresse

     

    et je ne me suis jamais dit, pas une seule fois, que je voudrais

     

    échanger ma vie avec les existences tragiques de ces gens-là.

     

     

     

    Parce que avoir une jumelle

     

    comme Tippi ce n'est

     

    pas

     

    La pire

     

    Chose

     

    Au monde. » (p.105)

     

     

    Normal

     

     

    « Pourquoi t'es ami avec aucun des mecs qui font du sport

     

    ou de la musique

     

    ou de l'informatique

     

    ou d'ailleurs avec aucun des mecs

     

    du lycée ? »

     

    je demande à Jon.

     

     

     

    « Je suis boursier, Grace.

     

    Tu sais bien ce que ça veut dire.

     

    On est trop normaux pour eux. »

     

     

     

    « Tu rigoles ?

     

    Toi, t'es normal.

     

    C'est bien d'être normal.

     

    Être normale, c'est mon but »,

     

    je lui dis.

     

     

     

    Il secoue la tête et

     

    me prend la main,

     

    caresse mon pouce de ses doigts ;

     

    incendie dans mes veines.

     

     

     

    'Dans le coin, être normal, c'est une insulte, dit-il.

     

    Au fond de soi,

     

    tout le monde veut être une

     

    star

     

    et être normal c'est risquer de devenir

     

    rien.'

     

     

     

    Mais tout le monde a tort.

     

     

     

    Être normal, c'est le Graal

     

    et c'est seulement ceux qui ne le sont pas

     

    qui comprennent pourquoi.

     

     

     

    C'est tout ce que j'ai toujours voulu

     

    et j'échangerais

     

    ma bizarrerie ma monstruosité ma spectaculaire

     

    exceptionnalité

     

    pour être normale

     

    à la seconde où on me le demanderait. » (p.151-152)

     

     

     

    « Quand deux siamois sont séparés,

     

    on estime que c'est une réussite si

     

    l'un d'entre eux survit.

     

    Quelque temps.

     

     

     

    Et, ça,

     

    pour moi,

     

    c'est la chose la plus triste

     

    que les gens puissent penser

     

    quand ils nous voient. » (p.279-280)

     

     

     

    (Inséparables de Sarah CROSSAN)

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    « Et soudain je compris comment Tulipe pouvait raconter mensonge sur mensonge et ne jamais se rendre compte que les autres trouvaient ses mensonges totalement absurdes. Elle était persuadée que c'était le monde qui ne tournait pas rond. Si le monde tournait rond, si les choses s'étaient passées comme il fallait, elle n'aurait jamais eu besoin de mentir, ni de voler, ni d'être méchante.

     

    Si le monde avait tourné rond, elle aurait été une fille bien, une fille gentille - celle qu'elle était au fond d'elle-même avant que les choses ne tournent mal et ne la déforment. » (p.123)

     

    Si le monde avait tourné rond

     

     

     

    « Tulipe me manquait terriblement et je les détestais tous. Pourquoi étaient-ils persuadés que c'était à moi de faire venir Tulipe, toujours à moi ? Ils savaient tous où la trouver. ils savaient tous qu'elle devait être assise avec ses affreux vêtements de tous les jours, en train d'écouter sa mère fredonner et son père la tarabuster, tandis qu'elle examinait le cadeau hideux et minable que sa mère s'était procuré en grappillant sur le peu d'argent qui restait une fois que M. Pierce avait acheté ses bouteilles. Eux étaient tous réunis autour du piano, sur leur trente et un, l'air altier et l'estomac plus que plein. Qu'est-ce qui empêchait l'un d'eux de remplir un panier et d'aller le lui porter ? Ou même de la ramener ? "Allez, viens Tulipe. Nous savons tous que tu n'es plus très copine avec Nathalie. Mais nous, nous t'aimons encore. Viens avec nous."

     

    Mais non. C'était à moi de le faire. c'était à moi de m'occuper de Tulipe (mais prends garde qu'elle ne te fasse pas porter le chapeau). Sois gentille avec elle (mais fais attention de ne pas tomber sous son emprise). Va jouer avec la sorcière (mais ne te laisse pas ensorceler). » (p.150-151)

     

     

     

    « - Non, dit-il au bout d'un moment, d'une voix calme. Ce n'était pas assez grave. Et j'ai bien peur que la vie ne soit un peu comme ça, Nathalie. Il faut que les choses soient bien pires que graves pour être considérées comme intolérables. Et jusqu'à ce qu'elles en arrivent là, les gens sont seuls.

     

    J'étais écœurée. Complètement écœurée. » (p.178)

     

     

     

    « A la limite, Tulipe était plus courageuse et plus gentille. Et puis les gens ne sont pas des forteresses. On peut aller voir à l'intérieur d'eux, si on veut.

     

    Mais personne ne l'a fait. Personne n'a tendu la main à Tulipe. Personne n'a essayé d'établir un contact avec elle. Je les entends chuchoter et ça me rend malade.

     

    (...)

     

    Je ne pourrai plus jamais penser à Tulipe sans être triste pour elle.

     

    Et sans me sentir coupable.

     

    Oui, coupable. (p.196)

     

     

     

    (Mon amitié avec Tulipe d'Anne FINE)

     

     

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    « Trente-cinq degrés de température, huit de tension, aménorrhée, dérèglement du système pileux, escarres, ralentissement du pouls et de la pression sanguine, nous avons là tous les signes de la dénutrition. » (p.17)

     

     

     

    « Anorexique. Ça commence comme anorak, mais ça finit en hic. Dix pour cent en meurent à ce qu'il paraît. Par inadvertance peut-être. Sans s'en rendre compte. De solitude, sûrement. » (p.21)

     

     

     

    « Il dit la priorité c'est assurer la renutrition. Dans l'altération de l'état nutritionnel, on observe un certain nombre de phénomènes qui renforcent l'anorexie. Dénutri, le corps éprouve de moins en moins la sensation de faim. A l'intérieur, les muscles ne font plus leur boulot. le cerveau n'est plus alimenté. Il faut restaurer les fonctions. Il dit qu'elle doit commencer par grossir, avant tout, pour être capable de sentir à quel point elle est maigre. Elle doit manger pour se rendre compte qu'elle est capable de vaincre cette angoisse et qu'elle peut vivre autrement que dans le manque. » (p.34)

     

     

     

    « La sonde impose l'impossible, l'inacceptable, des calories par centaines, insidieuses, une liqueur saturée distillée goutte à goutte dans son ventre meurtri. mais la sonde n'est associée à aucun geste, aucun goût, aucun plaisir. la sonde ne crée pas de dépendance. Elle fait le sale boulot, presque en silence. » (p.35)

     

     

     

    « Elle cherche ça avant tout : garder le contrôle. Le risque de dépendance vient de ce qu'elle absorbe par la bouche. Elle avale chaque morceau en se disant qu'elle pourrait aussi bien ne pas le faire, que sa volonté est entière. Elle cherche la preuve de sa puissance intacte, j'arrête quand je veux, quand j'aurai repris des forces, juste de quoi survivre. Je repartirai dans les rues, je boufferai du trottoir à en perdre conscience. Elle mange pour sauver son corps, parce qu'elle ne veut pas mourir. Elle connaît maintenant de source scientifique le seuil en dessous duquel est le est en danger. Il suffit d'arriver jusque-là et de se maintenir à ce poids, un pied dans l'assiette, un pied dans la poubelle. Le souvenir de l'ivresse est encore si proche, cette ivresse du jeûne qui l'appelle parfois. » (p.36)

     

     

     

    « Elle avance, petit à petit. Pourtant, plus elle grossit, plus elle a peur de s'être laissé prendre au piège, de ne plus savoir se battre. Mais se battre contre quoi. » (p.54)

     

     

     

    « Entre anorexiques, on demande d’abord combien – combien de kilos, combien de calories, combien de temps – on ne demande pas pourquoi. Ce sont des choses qui viennent plus tard, avec le sel des larmes. » (p.58)

      

    Anorexique

     

     « Lanor, l'anorexique, le squelette titubant pendu à ses basques, qui lui chuchote encore son dégoût à l'oreille et se réjouit de ses errances. Lanor qui la brûle de l'intérieur. Elle écrit par petits bouts ce cri infini jusque là resté muet. Ce cri qu'ils n'ont pas su entendre. La vacuité de sa carcasse mise à nu, tout ça pour rien. » (p.100)

     

     

     

    « Sur une photo prise quelques jours avant son hospitalisation, elle découvre ce rictus qu'on ose maintenant lui décrire. La fixité du regard, son visage tiré, sa peau presque transparente. Une copine lui raconte un jour les stratagèmes dont elle usait lorsqu'elles avaient rendez-vous, pour voir Laure d'abord à son insu, cachée derrière un pilier ou un abri-bus, avoir le temps de s'habituer. Ils disent tu faisais tellement peur, tu avais l'air tellement déterminée, tellement lointaine? Ils disent on ne savait pas comment t'aborder, te parler, tu étais inaccessible. » (p.109)

     

     

     

    « Laure déballe à ses pieds, par petits paquets compacts, cette faim de vivre qui l'a rendue malade, elle le comprend maintenant, cet appétit démesuré qui la débordait, la débraillait, ce gouffre insatiable qui la rendait si vulnérable. Elle était comme une bouche énorme, avide, prête à tout engloutir, elle voulait vivre vite et fort, elle voulait qu'on l'aime à en mourir, elle voulait remplir cette plaie de l'enfance, cette béance en elle jamais comblée.

     

    Parce qu'il faisait d'elle une proie offerte au monde, elle avait muré ce désir dans un corps desséché, elle avait bâillonné ce désir fou de vivre, cette quête absurde, affamée, elle se privait pour contrôler en elle ce trop plein d'âme, elle vidait son corps de ce désir indécent qui la dévorait, qu'il fallait faire taire.  » (p.116)

     

     

     

    (Jours sans faim de Delphine de VIGAN)

     

     

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