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La mue
«J'ai essayé de détourner la conversation. Je sentais qu'elle prenait un tour qui allait m'être désagréable.
- C'est parce que je me suis beaucoup occupé de sa mère.
- Ou que sa mère s'est occupée de vous. Enfin, d'après ce qu'il dit.
- Les relations humaines sont parfois à double sens.
- Pendant un temps, vous avez été un objet de raillerie ici. Tous ces gens que vous voyez là, ils se tapaient sur les cuisses en entendant les histoires de Philippe qui fait des tartes aux pommes avec la mère de son copain.
(…)
- ça a changé progressivement. Vous êtes devenu une... comment dire ça, oui, une caution. Vous lui servez de caution. » (p.64-65)
«Je retrouve la peau de mes vingt ans. Comme si ma mue m'attendait, tapie au coin de ma ville natale ou dans le train. Comme si elle veillait et qu'elle attendait que je baisse la garde, pour attaquer encore. Je me rappelle Lucile qui travaillait pour moi il y a quelques années. C'était une grande fille mince et séduisante. Un jour, elle m'a montré ses photos d'adolescence. Quand on l'appelait la boulette ou le cochonnet. Elle serrait les dents tandis que j'observais la masse informe de chair sur les clichés, et que je tentais d'y retrouver les traits de ce qu'elle allait devenir. Elle a murmuré qu'ils étaient toujours là, la boulette, le cochonnet. Elle les combattait quotidiennement, pourtant il suffisait qu'elle n'y prenne pas garde, qu'elle soit bousculée dans le métro, qu'elle mette un peu trop de temps à sortir sa carte de crédit de son portefeuille, et la boulette, le cochonnet fondaient sur elle de nouveau. Empotée. Grasse. Laide. Bonne à rien. » (p.72-73)
(06h41 de Jean-Philippe BLONDEL)
Tags : médisance, hypocrisie, apparence, complexes, estime de soi, différence, marginalité
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