• Je croyais que je le méritais

    « « Casser tous les os de ton corps.

     

    Tous les os de ton misérable corps. »

     

    Ces nuits-là, je me réveillais sans arrêt en entendant la voix de mon père juste au-dessus de moi. Je transpirais, mon cœur battait, non pas d'exaltation-à-la-Zarbie, mais d'angoisse. Je sentais ses doigts s'enfoncer dans mes bras, haïssant ma chair rebelle. J'avais dans la bouche le goût de ce spectacle honteux, comme de quelque chose de pourri et de noir. Et les yeux des autres qui regardaient fixement. Et mes propres yeux qui regardaient fixement.

     

    Ce n'était pas la première fois. Mais c'était la première fois que je recevais une correction devant des inconnus.

     

    « Reid, on ! Ne lui fais pas de mal, Reid...

     

    Ne te mêle pas de ça. Elle mérite une correction. Regarde-la... elle ne pleure même pas.

     

    Elle est terrorisée, Reid. Elle ne peut pas pleurer...

     

    Fous-moi la paix ! Ah, tu parles d'une mère ! Tu peux être fière de toi ! Tu as vu le résultat ? »

     

    Je me réveillais sans savoir si ces mots qui me revenaient dans la tête étaient un rêve ou un souvenir. Un horrible rêve. (…)

     

    « Ce n'est pas voulu, chéri. Elle n'a que deux ans. Elle ne sait pas raisonner ni penser. Elle ne peut pas s'empêcher de se salir si elle a peur. Elle ne le fait pas exprès. Elle n'a que deux ans... » Je fermai les yeux et m'endormis. » (p.125-126)

     

     

     

     

    « Mon père se met facilement en colère. Je pensais que c'était ma mère qui le provoquait, mais j'avais tort, j'en voulais à ma mère d'être maltraitée.

     

    Elle portait des écharpes, des manches longues pour cacher les marques sur sa peau. Mais je savais ce que c'était.

     

    Je crois que c'est parce que j'avais terriblement peur. C'était plus facile de la détester.

     

     

     

    Non, mam n'en a jamais parlé.

     

    Elle ne l'a jamais critiqué. Elle savait que Samantha et moi adorions notre père.

     

    Que nous l'aimions vraiment. Je l'aime toujours.

     

    Il est mon père, et il est Reid Pierson. C'est pour ça.

     

     

     

    Pourquoi ? Mam avait peur, je pense. Peur qu'il lui fasse plus de mal, et qu'il nous en fasse à Samantha et à moi. C'est ce qu'elle dit dans son journal, et je crois que c'est ce qui explique son attitude. » (p.285)

     

     

     

    « Oui. Quelquefois. Pour nous « corriger ».

     

    Je ne m'en souviens pas très bien. C'est assez vague, comme un mauvais rêve ou quelque chose qu'on a vu à la télévision il y a longtemps et qui s'est mélangé à la vie réelle.

     

    Des fessées, quand j'étais petite. Parce que je désobéissais, je suppose.

     

    Parfois des gifles, des coups, ou bien il me secouait très fort. Papa me prenait pas les épaules et il me secouait, secouait, secouait encore, comme s'il voulait me briser le cou.

     

    Oh, non ! Je croyais que c'était ma faute, que je le méritais.

     

    Je le crois toujours, d'une certaine façon.

     

    Il est difficile de changer ce que l'on ressent. Il est beaucoup plus facile de changer ce que l'on pense.

     

     

     

    Pourquoi ? Parce que papa nous aimait. Il nous aime.

     

    Il ne nous aurait pas corrigées, disait-il, s'il ne tenait pas à nous.

     

    C'est vrai, même maintenant. Je le comprends. Mais c'est une façon malsaine, erronée de voir les choses.

     

     

     

    Oui, je pourrais dire ça. Si je dois le jurer...

     

    Oui, mon père nous a « brutalisées », ma sœur et moi.

     

    (Elle n'en parlera probablement pas. Elle a peur. Et maintenant que mam a disparu, elle ne peut plus qu'aimer papa. Je ressens la même chose qu'elle. Mais il faut que je dépasse ce sentiment. Je ne peux pas le protéger plus longtemps.) » (p.286-287)

     

     

     

    (Zarbie les yeux verts de Joyce Carol OATES)

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