• Du mauvais côté de sa carapace

     

    « Marie-Charlotte, je l'ai rencontrée un lundi midi à la cantine du collège.

     

    (…)

     

    Malgré l'humeur, la fatigue et ma faim, quand ça commence à s'agiter à la table en face, une table de sixièmes, je jette un coup d'oeil. Juste comme ça. (…)

     

    J'entends des ricanements, des chaises qui se poussent trop vite et raclent le sol bruyamment, et je vois que tous à la table, les gars, les filles, tous empêchent une fille, une sixième vu sa taille, de s'asseoir aux places vides. Et les mains vissées aux lanières de son cartable, avec son gros petit corps, la fille s'entête, on dirait qu'elle ne comprend pas.

     

    Des trucs comme ça, ça arrive tout le temps. Normalement, le ou la sixième finit par abandonner, ne vient plus à la cantine ou trouve une table où vont les comme lui ou elle, et on passe à autre chose. » (p.8-9)

     

     

    Du mauvais côté de sa carapace

     

     

    « Elle est venue vers moi, vers la chaise réservée à mes Nike, et elle a dit :

     

    - Pardon mais est-ce que s'il vous plaît je peux m'asseoir là ?

     

    (…)

     

    J'ai pensé à Amine, mon frère aîné qui est en prison et qui, dans les lettres qu'il écrit à ma mère, parle de sa solitude, et j'ai enlevé mes Nike de la chaise.

     

    Ensuite j'ai demandé son prénom à la fille.

     

    - Marie-Charlotte ??? En plus ?

     

    C'est tout ce que j'ai trouvé à lui dire.

     

    Un moment, j'ai eu peur qu'elle me réponde du tac au tac : En plus ? En plus de quoi ? En plus d'être moche ? En plus d'être grosse ? En plus d'être rousse ?

     

    (…)

     

    Mais elle a pas tiqué, elle n'a rien répondu du tout. Elle est restée muette, assise tout au bord de sa chaise à cause de son énorme cartable qu'elle avait laissé dans son dos. Elle gardait son manteau boutonné jusqu'au menton et je me suis demandé, pour la première fois, si elle faisait pas exprès d'être aussi débile. » (p.9-10)

     

     

     

    « Quelques semaines après ma rencontre avec la mère de Marie-Charlotte, je traverse le collège pour aller à mon cours de français, je suis en train de me dire que j'ai déjà faim quand j'ai l'oeil attiré par un attroupement : des élèves regardent quelque chose que je ne vois pas tout de suite, quelque chose que je ne comprends pas tout de suite même en m'approchant.

     

    C'est le cartable que je reconnais d'abord, cet affreux cartable trop lourd et qui d'ailleurs l'empêche de se relever du sol, parce que Marie-Charlotte est à quatre pattes.

     

    Le cartable s'est ouvert, des livres, des stylos se sont barrés. Je ne vois pas son visage, mais ce sont bien ses cheveux rouges. J'ai le temps de penser que sa mère a les mêmes. Et puis j'entends un abruti de sixième rire et je le vois l'empêcher de se relever quand elle essaye. Personne ne l'aide. Elle ressemble à une tortue tombée du mauvais côté de sa carapace et moi je n'arrive pas à faire un mouvement. Un autre abruti se penche sur elle, il fait une grimace en la reniflant, il dit que c'est vrai que les roux puent. Je ne vois toujours pas le visage de Marie-Charlotte mais je l'imagine très blanc, avec les taches de rousseur phosphorescentes presque, en panique. Certains élèves autour se marrent, d'autres se tirent, je crois, je ne suis pas sûr, en tout cas il n'y a toujours personne pour l'aider, pas plus moi qu'un(e) autre.

     

    Et puis elle essaye de se relever encore une fois et là, je vois le visage de Marie-Charlotte, et je sais qu'elle me voit, moi.

     

    Et que même si elle ne parle pas, elle m'appelle au secours.

     

    Alors, c'est comme un vent violent et chaud qui se lève dans moi, en une foulée je suis près d'elle et je la relève. » (p.33-34)

     

     

     

    (Au secours elle m'adore ! De Juliette Arnaud – Je bouquine n°356)

     

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