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Décocher le mot méchant
« Il est expert à décocher le mot méchant, atteindre le point sensible caché sous une carapace de protection maladroite et suspendre brusquement ce jeu cruel afin de mieux le reprendre plus tard.
Adélaïde a compris que, si elle ne lui résiste pas, elle sera son souffre-douleur. » (p.23)
« Ils sont deux consignés qui s’opposent sans raison valable, mais pour longtemps.
Si elle lui disait qu’elle a des difficultés pour s’adapter à un cadre nouveau, que son prénom (peut-être à tort) la met mal à l’aise, qu’elle ne maîtrise pas les pointes d’un caractère ombrageux, qu’elle a tendance à regretter ce qu’elle a dû quitter et que sa première réaction devant toutes ces contrariétés est un repli sur soi…
S’il lui disait qu’il se sait la tête dure. S’il reconnaissait (pour se trouver une excuse) à quel point il est martyrisé par les heures d’immobilité, penché sur un cahier, alors qu’il se sent pousser des muscles d’homme. S’il avouait combien les changements rapides de son corps le prennent au dépourvu et l’irritent à tant le rendre maladroit…
S’ils se disaient…
Mais ils ne se disent rien. Elle est la sauvageonne éprise de solitude. Il enrage de colère impuissante dans un univers qui l’infantilise. Ils sont dos à dos et, parce qu’ils sont deux gamins impétueux, ils se détestent. » (p.28-29)
« - Adélaïdeuse.
Le mot est tombé au milieu de la dictée, à voix suffisante pour être entendu de tous. Sébastien Mauréas, sûr du résultat, feint de porter une attention sans faille à son travail. La méchante plaisanterie réussit totalement. Un éclat de rire général secoue les élèves. Ils se tournent en un seul mouvement vers Adélaïde.
Elle rougit. Une onde brûlante monte à ses joues. Un noeud de chagrin lui serre la gorge. Ce n'est plus de la colère qu'elle ressent, seulement une peine trop lourde pour elle.
Le vaurien ne se doute pas à quel point il a touché sa victime. Elle n'était pas sûre d'être laide, elle le craignait. Maintenant elle comprend qu'avec un visage qui devient de moins en moins joli (apparemment) et un prénom désastreux, elle portera un sobriquet gravé au fer rouge tant qu'elle restera dans cette école. » (p.32-33)
« Un énorme rat mort tombe à ses pieds. (...)
Tout le monde regarde Adélaïde. Des rires fusent. La malheureuse est debout, point de mire d'une malveillance insupportable. Les larmes lui viennent à gros sanglots, de rage plus que de peur une fois la surprise passée.
- Face de rat ! lance une voix contrefaite.
Les rires reprennent dans un brouhaha. La maîtresse tente de les arrêter. Des cris d'animaux s'y mêlent, qui meurtrissent Adélaïde et l'offensent. (...) Elle pleure, vaincue, et les rires redoublent.
- Adélaïdeuse ! insiste la voix en chantonnant.
Alors la persécutée se laisse emporter par la révolte. Elle court à la porte, quitte la salle, traverse le vestibule, traverse le préau et la cour, traverse la place. Elle court jusqu'au bout du village. » (p.94-95)
« Adélaïde se demande si elle n’aurait pas dû rentrer à la maison et expliquer à sa mère la mauvaise plaisanterie.
« Ce n’était pas une plaisanterie. C’était une méchanceté ! »
Maintenant qu’elle a retrouvé les grands espaces des collines et la tendre confiance de Louis, elle excuserait à la rigueur le fait que l’affreux Sébastien ait mis un rat mort dans son casier.
« Il a voulu me faire une farce. »
Par contre, le surnom qui, une fois de plus, a jailli en cette occasion l’a blessée. Elle sait qu’elle n’est pas jolie. A part Louis, tout le monde le sait. Est-ce de sa faute si elle a…
« Face de rat .»
Les mots lui reviennent en mémoire et lui font mal. Être laide est déjà assez difficile à supporter. Pourquoi faut-il encore ne pas être aimée ? » (p.109-110)
(La reine du mercredi de Jean-Côme Noguès)
Tags : harcèlement
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