• Comme devant les singes en cage

     

    « La porte du vestiaire a été ouverte avec une telle violence que les cloisons du préfabriqué tremblaient. Je n'ai rien vu, j'ai senti mon cœur battre. Quand j'ai compris que le gros Didier était entré dans notre vestiaire et qu'il fonçait sur moi, les battements accélérés du sang ont rempli mes oreilles et recouvert les cris aigus des filles. 

     

    Le gros Didier m'a attrapée par les cheveux. J'ai senti son autre main sur moi. J'ai entendu sans comprendre claquer un élastique. L'air a glacé mon ventre. Une brûlure a cinglé ma cuisse. Il avait enlevé mon slip.

     

    Ensuite seulement je l'ai vu : il battait déjà en retraite vers la porte. Très rouge, gluant de sueur, il criait en me montrant du doigt comme au zoo on montre les singes. Mon ventre nu s'est durci. Le courant d'air glacé s’engouffrait par cette porte grande ouverte. Le gros Didier se tordait de rire. Des dizaines de garçons passaient la tête par cette porte : leurs bouches distendues criaient et riaient comme devant les singes en cage quand ils se grattent le cul. Je ne sais plus quels garçons regardaient. Je ne suis pas sûre de les avoir bien vus.

     

    Déjà le silence s'installait dans ma tête. (…)

     

    La porte était refermée. Élise et ses copines, gênées, ricanaient autour de moi. Sauf Zoreh. En passant le long du couloir, les garçons donnaient de grands coups dans la cloison, en riant comme s'ils hurlaient. Les murs tremblaient ; le gymnase tout entier allait s'écrouler.

     

    « Allez, rhabille-toi ! » m'a dit Zoreh sur un ton énervé avec un geste pour remonter elle-même mon slip. Je l'ai repoussée brutalement. Elle est tombée à la renverse. » (p.4-5)

     

    Comme devant les singes en cage

     

     

     

    « Devant, le gros Didier ricane. Son copain Xavier, qui se prend pour Rambo et porte des pantalons de militaire, se retourne vers moi. Il me balaie du regard, comme s'il me voyait encore toute nue, dans le vestiaire. Puis il donne un coup de coude à Didier. Ensemble, ils pouffent. » (p.9)

     

     

     

    « Je ne vois personne pendant un long moment. Puis une ombre remue au plafond de la chambre, la traverse, s'étire et se plaque d'un seul coup, énorme, devant la fenêtre. Le gros Didier ! Les mots de haine retenus toute la journée explosent en moi sans trouver la sortie. Ils font trembler mes mains. Cachée dans les branches de tuyas, je guette celui que je vais tuer, parce qu'il m'a déculottée devant tout le monde, parce qu'à cause de lui j'ai été vue comme un singe, dont on rit quand il se gratte le cul. » (p.44-45)

     

     

     

    « Est-ce que maintenant que j'avais vraiment vu le gros Didier, j'aurai la force de le tuer ? Est-ce que j'allais avoir fait tout ça, le silence, les heures de colle , le psychologue, les agrès, le guet dans la nuit, pour des prunes ?

     

    Je n'avais rien à craindre pourtant ! Dès le lundi matin j'ai retrouvé ma détermination. Le gros Didier et Rambo coinçaient les sixièmes dans un coin, ouvraient leurs sacs, piquaient le quatre heures que leur mère avait soigneusement enveloppé dans un papier, et les renvoyaient avec une paire de gifles s'ils menaçaient de parler. Les autres garçons regardaient de loin en ricanant. Les filles pestaient mais n'avaient pas le courage d'intervenir. Personne ne voulait les dénoncer au bureau qu'on déteste. » (p.61)

     

     

     

    « Elle le regarde : « Si, bien sûr. Est-ce que moi aussi je ne défoncerais pas les portes, parfois ? Est-ce que je ne voudrais pas me venger de ceux qui m'ont tout pris là-bas ? Mais il n'y a que les gorilles qui se vengent. »

     

    Elle a la voix douce, Madame Karmzadeh, sous la lampe, et une telle conviction qu'on voudrait la croire. Pourtant, elle sait bien que le gros Didier affaissé sur son canapé de soir sera demain un molosse enragé. Elle sait bien qu'il m'a déculottée, moi. Que sans aucune raison il s'est attaqué à moi.

     

    (…)

     

    De loin, debout à côté de son père, Zoreh me regarde de tous ses yeux. Elle, surtout, comprend. Elle sait qu'en ce moment, je voudrais tuer le gros Didier mais surtout ne pas le tuer, pleurer et ne plus jamais pleurer, parler et me taire pour toujours.

     

    S'il n'y a que les gorilles qui se vengent, qu'est-ce que je fais, moi qui ne suis pas un singe ? » (p.78-79)

     

    (Je ne suis pas un singe de Virginie Lou)

    « BaromètresPorte »
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